A Chypre, l’argent des Russes soulage mais suscite aussi des interrogations

Mardi 12 février 2013

A Chypre, l’argent des Russes soulage mais suscite aussi des interrogations

LE MONDE | 11.02.2013 à 13h08 Par Alain Salles - Limassol, Nicosie (Chypre) Envoyé spécial

Limassol est la deuxième ville de Chypre et… la première cité russe de l’île d’Aphrodite. Dans certains quartiers, les enseignes sont bilingues : anglais et russe, mais pas grec. C’est le cas des agences immobilières, comme celle destinée aux VIP sur le boulevard principal à l’entrée de la ville.

[…] A Limassol, en temps de crise, on est heureux d’avoir des Russes, qui mènent grand train et dépensent sans compter. Antonis Chambiaouris est marié à une Russe. Il a imprimé sa carte de taxi en russe et se réjouit de sa riche clientèle : « Les Russes apportent du bon argent. »

Ce n’est pas l’avis de plusieurs hommes politiques européens, et notamment allemands, qui remettent en cause l’idée d’un plan d’aide à Chypre, au prétexte qu’ils ne veulent pas financer l’argent sale des oligarques russes.

Pratiquement tout le pays prend la défense de son système financier. Le ministre des finances chypriote est allé plancher devant les députés néerlandais, une délégation de parlementaires est partie en mission à Bruxelles, pour tenter de convaincre leurs pairs européens.

AUDIT SUR LA LUTTE ANTIBLANCHIMENT À CHYPRE

Tous les Chypriotes sont d’ailleurs familiers des rapports de Moneyval du Conseil de l’Europe, qui saluent les progrès de Chypre pour adapter sa législation à la lutte contre le blanchiment. Pour le vérifier, les ministres des finances de l’Eurogroupe devaient demander, lundi 11 février, un audit indépendant sur la lutte antiblanchiment à Chypre.

En novembre 2012, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a mis le feu aux poudres, en révélant un rapport des services secrets germaniques, indiquant que si les lois étaient en place, elles étaient peu appliquées.

Des enquêtes sur les démantèlements de réseaux d’argent sale passent souvent par Chypre. L’un d’eux, découvert en Espagne en janvier, a ainsi mis en évidence tout un système passant par Andorre, les Seychelles et Chypre. L’île est également accusée dans une affaire de fraude fiscale russe, qui a provoqué la mort en prison, en 2009, d’un avocat, Sergueï Magnitski - le procureur général de Chypre a ouvert une enquête en décembre 2012

"Chypre a construit un secteur bancaire, comme la Suisse ou le Luxembourg, sans toujours appliquer les réglementations antiblanchiment, surtout après la chute de l’empire soviétique« , explique l’économiste Stélios Platis. Mais, depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, elle a pris toutes les précautions. S’il y avait beaucoup de blanchiment d’argent, nous n’aurions pas besoin d’aide européenne ! »

MANQUE DE CONTRÔLE DES AVOCATS ET DES EXPERTS-COMPTABLES

"Chypre est un paradis fiscal et une place connue pour le blanchiment. J’ai eu peu de demandes vers l’île, mais celles que j’ai adressées ont été exécutées, explique le juge financier parisien, Renaud van Ruymbeke. Je pense qu’aujourd’hui, les places les plus sûres sont plus exotiques : Singapour, île Maurice, îles des Caraïbes, Hongkong. L’Europe n’est plus le sanctuaire qu’elle a été."

Les dépôts de clients russes dans les banques chypriotes sont aujourd’hui estimés entre 15 et 20 milliards d’euros, selon les économistes. De nombreux investisseurs profitent du statut offshore de Chypre et de ses privilèges fiscaux pour y établir des sociétés. La loi donne l’obligation aux banques de vérifier qui sont les véritables propriétaires de ces sociétés.

« Nous respectons une procédure stricte », assure d’ailleurs Makis Keravnos, le président de la Hellenic Bank, la troisième banque chypriote, qui ironise : "Les Russes seraient de bons investisseurs à Francfort et à Londres et pas à Nicosie ? Ce sont des anges ailleurs et des démons à Chypre ?" Lire la suite.

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