A « Londongrad », l’influence russe en question

Dimanche 26 juillet 2020

A « Londongrad », l’influence russe en question

26/07/2020 | 06:46

LONDRES (awp/afp) - Un rapport parlementaire britannique dénonçait cette semaine, comme le font depuis des années les organisations anti-corruption, la complaisance de Londres face à de grandes fortunes russes aux origines parfois douteuses qui s’achètent de l’influence dans les hautes sphères.

« Le Royaume-Uni abrite des milliards de livres de fortunes suspectes russes » affirme à l’AFP Ben Cowdock, expert de Transparency International, ajoutant qu’au moins 1 milliard de fonds douteux russes ont ainsi été investis dans de l’immobilier de luxe, souvent à Londres.

Pour Pete Duncan, professeur spécialiste de la Russie à l’université londonienne UCL, ce sont des « centaines de milliards de livres » qui ont quitté Moscou depuis les privatisations sauvages des années 90 pour être investies à Londres.

Le rapport du comité parlementaire de renseignement (ISC) publié mardi fustige ce qu’il qualifie de complaisance du gouvernement britannique face à l’origine de monumentales sommes d’argent investies dans l’immobilier, les écoles d’élite, les institutions culturelles prestigieuses.

Il dénonce aussi d’énormes donations à des politiciens, notamment conservateurs, ou versées à des firmes d’avocats ou de relations publiques pour gagner l’accès aux plus hautes sphères du pays ou s’acheter une réputation.

« L’influence russe au Royaume-Uni est la +nouvelle normalité+ », relève le rapport, soulignant que « beaucoup de Russes ayant des liens très proches » avec le président russe Vladimir Poutine sont très intégrés dans le milieu des affaires et la société britannique, en particulier à « Londongrad », surnom parfois donné à la capitale et son importante communauté russe.

Si les députés ne citent pas de nom et admettent que les preuves irréfutables d’interférences russes, que ce soit dans la campagne du référendum sur le Brexit ou celui sur l’indépendance de l’Ecosse de 2014, sont difficiles à trouver, ils estiment que le gouvernement a « activement évité » d’enquêter.

« De riches donateurs russes avec des liens avec Poutine participent régulièrement à des soirées de levées de fonds et côtoient des personnalités influentes » britanniques, relève Ben Cowdock.

Le « lavomatic » d’argent sale à Londres a notamment été mis en lumière par le scandale chez Deutsche Bank des « transactions miroirs » entre les filiales de Moscou et Londres de la banque allemande qui servaient à blanchir des fonds à coups de transactions se compensant de part et d’autre et circulant dans des paradis fiscaux.

M. Cowdock rappelle que le gouvernement britannique « avait promis en 2016 un registre des vrais propriétaires » de demeures luxueuses, souvent acquises à travers des sociétés écran, « quelque chose qui peut être mis en place vite », sans grand résultat.

Selon Pete Duncan, les organismes britanniques de lutte contre la criminalité ont besoin de plus de moyens pour poursuivre des oligarques qui se paient les meilleurs avocats de la place londonienne.

« Amnésie »

Le député travailliste Chris Bryant affirme pour sa part que l’ambassade russe a essayé de le faire démettre du poste de président de la commission parlementaire sur la Russie parce qu’il n’était pas assez pro-Kremlin.

Selon lui, les conservateurs ont laissé entrer dans le pays « un afflux massif d’argent sale » dont une partie « a irrigué le parti Tory » depuis 2010. D’où, affirmait-il dans une tribune dans le Guardian l’an dernier, une « amnésie » face à des années d’efforts de Moscou pour « fragiliser notre système politique ».

L’ex-espion britannique Christopher Steele, auteur d’un dossier sur les liens présumés du président américain Donald Trump avec la Russie, soulignait en témoignant pour l’ISC que « l’élite russe a réussi à créer un groupe d’intérêt puissant en Grande-Bretagne, à coup de dépenses somptuaires et d’investissements », relevant que le Kremlin « a un intérêt qui frise l’obsession pour le Royaume-uni ».

Ben Cowdock et Pete Duncan citent eux deux des plus importants donateurs du parti conservateur : Lioubov Tchernoukhine, épouse d’un ancien ministre de Vladimir Poutine, ou Alexander Temerko, ex dirigeant d’une société fabriquant des armes pour l’armée russe, aujourd’hui critique du président russe.

Des dons « enregistrés légalement » et émanant de citoyens britanniques, souligne l’ex-président du parti tory Brandon Lewis, rappelant que la formation « n’accepte pas de dons d’étrangers ».

Même si le Royaume-Uni dispose d’un arsenal législatif complet pour lutter contre le blanchiment d’argent, il n’est pas appliqué assez rigoureusement, regrettent Ben Cowdock et Pete Duncan.

Les agences immobilières, cabinets d’avocats ou de relations publiques ou autres « facilitateurs » ferment trop souvent les yeux sur l’origine des fortunes russes alors qu’il est de leur responsabilité de la vérifier.

M. Cowdock note aussi qu’il faudrait interdire la présence de parlementaires britanniques au conseil d’administration d’entreprises russes pour qu’ils « n’agissent pas comme des lobbyistes ».

ved/fb/ahe

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