AU COEUR DU SCANDALE PANEUROLIFE

Jeudi 30 août 2001 — Dernier ajout mercredi 13 juin 2007

AU COEUR DU SCANDALE PANEUROLIFE

L’Expansion 30/08/2001

Evasion fiscale, blanchiment d’argent sale : et voilà une discrète filiale luxembourgeoise d’Axa-UAP mêlée à une drôle d’affaire financière, qui vaut aux barons de l’assurance française une mise en examen.

Récit et témoignages exclusifs.

Costume bleu à la coupe stricte, cheveux grisonnants et regard gris acier, Gérard Klein, le directeur général adjoint de la compagnie d’assurances luxembourgeoise PanEuroLife, se raidit à l’évocation de ses dix-huit jours de détention à la prison de la Santé, où il a côtoyé les tristement célèbres Alfred Sirven et Maurice Papon. Libéré le 28 mai, cet ancien directeur juridique de l’UAP, blessé dans son amour-propre, accepte pour la première fois de s’exprimer sur sa mise en cause dans l’affaire qui a valu à Claude Bébéar, ancien patron d’Axa, une spectaculaire mise en examen pour blanchiment aggravé.

A quelques encablures du centre de Luxembourg, dans un quartier sans âme où la concentration d’établissements bancaires bat des records, PanEuroLife occupe un petit immeuble que protège une escouade de vigiles interdisant toute photo. Nous sommes au grand-duché et, ici, on ne plaisante pas avec le secret des affaires. « La distribution des produits d’assurance-vie dans le cadre de la libre prestation de services au sein de l’Union européenne est parfaitement légale. Certaines règles concernant sa mise en place ont probablement été contournées par quelques-uns », s’insurge Gérard Klein, qui se pose en victime. Reste à convaincre Dominique de Talancé, la juge d’instruction chargée de l’affaire.

Depuis plusieurs semaines, elle mène son enquête tambour battant, multipliant auditions, mises en examen et placements en détention provisoire. Comme les enquêteurs de la brigade de recherche et d’investigations financières qui remontent la filière depuis plusieurs mois, elle est convaincue que PanEuroLife, sous couvert de proposer des placements au Luxembourg, avait en fait mis en place un vaste système d’évasion de capitaux. Avec la bénédiction de sa maison mère, Axa, qui a hérité de cette compagnie en 1997, lors de sa fusion avec l’UAP ? En matière judiciaire, le principe de la présomption d’innocence s’impose, mais la mise en examen des dirigeants, passés et actuels, de la compagnie fait planer un grave soupçon. Un coup dur pour le géant français des services financiers, qui se serait bien passé d’une telle publicité…

Le mécanisme, tel qu’il a été décrypté par les policiers, était particulièrement astucieux. Le principe consistait à faire parvenir dans un paradis fiscal des sommes placées dans les contrats d’assurance-vie, sans les déclarer ni aux douanes ni au fisc. Et pour cause, l’origine de ces fonds était parfois douteuse. Une figure du grand banditisme du sud de la France, récemment abattue dans un règlement de comptes, a notamment été identifiée parmi les bénéficiaires de ce tour de passe-passe. Rusés, ses inventeurs ont remplacé la traditionnelle valise de billets qui passe discrètement la frontière au fond d’un coffre de voiture par un compte chèque postal.

Ouvert au nom de la Banque Worms, ce CCP alimentait dans un deuxième temps le compte de non-résident dont disposait PanEuroLife auprès du même établissement, une filiale de l’UAP vendue depuis à la Deutsche Bank. Le circuit était bouclé avec le transfert des fonds au Luxembourg, en toute légalité, puisqu’il ne s’agissait plus de liquide mais d’un simple jeu d’écritures. Les souscripteurs (pour la plupart des petits commerçants et même un gagnant du gros lot au Loto !) n’avaient plus qu’à attendre la quatrième année, une fois prescrits les délits fiscaux, pour récupérer leur magot et le rapatrier sans risques. De l’aveu même des dirigeants de PanEuroLife, les dépôts en liquide ont atteint une quinzaine de millions de francs sur la période incriminée, allant de mi-1996 à août 1997. La juge continue de son côté de faire ses comptes…

Mais la belle mécanique s’est grippée. Le choix des comptes gigognes, a priori moins risqués pour les « épargnants » que le porteur de valises, s’est révélé désastreux. Intrigué par des dépôts aussi réguliers qu’anonymes de 50 000 francs en espèces sur un CCP, un employé de La Poste a en effet donné l’alerte au début de 1997. Sa hiérarchie a saisi Tracfin, l’organisme chargé au ministère des Finances de lutter contre le blanchiment d’argent sale. Cette « déclaration de soupçon » prospérera jusqu’à l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Paris en février dernier.

Dès le 24 avril à l’aube, les policiers perquisitionnent dans toute la France chez les courtiers et chez les « inspecteurs » de PanEuroLife chargés de superviser la commercialisation des produits de la compagnie dans l’Hexagone. Gardes à vue et interrogatoires se poursuivront pendant plusieurs jours, avec à la clef une quinzaine de placements en détention préventive. Le directeur général de la compagnie, Jacques Drossaert, et un de ses deux adjoints, Gérard Klein, passeront ainsi près de trois semaines à Fleury- Mérogis et à la Santé avant d’être remis en liberté sur décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris. Le directeur commercial pour la France, Alexandre Dubois, connaîtra un sort identique. Plusieurs responsables de la Banque Worms sont également interrogés et mis en examen. Parmi eux figure l’ancien président du directoire de la banque, Marc Vuillermet. Enfin, cerise sur le gâteau, Claude Bébéar et Henri de Castries viennent à leur tour garnir le tableau de chasse du juge de Talancé. Seuls Jean Peyrelevade, président de l’UAP au moment de la création de PanEuroLife et actuel président du Crédit lyonnais, et son successeur à la tête de la compagnie d’assurances alors nationalisée, Jacques Friedmann, ont échappé aux rigueurs de la justice même s’ils ont été entendus sous le statut de témoin assisté.

« Est-il indispensable à la manifestation de la vérité de passer quarante-huit heures en garde à vue ? » interroge, ulcéré, Gérard Klein. Il affirme donc avec force que son entreprise « a toujours scrupuleusement respecté la législation luxembourgeoise antiblanchiment ». Une législation qui s’applique aux trafics en tout genre, mais ne couvre pas l’évasion fiscale, et, surtout, qui s’incline devant un principe sacré au grand-duché : le secret des affaires. Les dirigeants de PanEuroLife comme les autorités locales ne manquent jamais une occasion de rappeler que tout manquement à ce principe est sanctionné pénalement. La justice luxembourgeoise n’a engagé aucune procédure dans une affaire qui pourrait mettre en cause des personnalités haut placées de l’Etat. Gaston Thorn, ancien Premier ministre et ancien président de la Commission européenne, est de longue date président de PanEuroLife. « Une fonction honorifique qui n’implique pas de responsabilité opérationnelle », s’empresse-t-on de préciser au sein de la compagnie.

Même lancées avec les accents de la dignité outragée, les explications des dirigeants de PanEuroLife semblent un peu courtes aux yeux de la justice française. D’autant qu’ils admettent avoir été avisés de façon informelle, par Tracfin en juin 1997, que des fonds en espèce étaient irrégulièrement déposés de manière anonyme sur le CCP de la Banque Worms. « Nos équipes ont tout de suite reçu instruction de faire savoir à nos courtiers et aux clients que nous n’acceptions pas ces pratiques par ailleurs non conformes à nos procédures. Elles ont progressivement cessé en l’espace de quelques mois », se rappelle Gérard Klein. Quant aux demandes d’identification des auteurs de ces versements, elles se sont heurtées à une fin de non recevoir de la part du Luxembourg.

« Certains souscripteurs se présentant à la poste ne déclinaient pas leur identité. De notre côté, nous respections strictement nos procédures d’identification et de contrôle de l’origine des fonds. Pour nous, l’argent provenait de notre compte à la Banque Worms mais, lors de la réception des extraits bancaires, nous n’avions pas toujours une information complète sur les modalités de dépôt », ajoute le directeur général adjoint, qui admet cependant que les versements en espèces auprès du correspondant bancaire en France n’ont été interrompus qu’en mai 1998. Cette inefficacité des rappels à l’ordre adressés aux personnes chargées de vendre les produits PanEuroLife est aussi retenue à la charge des responsables de la Banque Worms et des représentants successifs d’Axa au conseil de surveillance de l’établissement. Et là, les versions des uns et des autres divergent sensiblement.

D’un côté, Claude Bébéar et Henri de Castries affirment que les résultats de l’audit diligenté en juin 1997 par l’inspection générale de la banque ne leur ont été transmis qu’en février 1998. Plus grave, Axa souligne dans un argumentaire remis à la presse que la note d’accompagnement de Marc Vuillermet, alors président du directoire de Worms, indique à son actionnaire que « les modes opératoires sont scrupuleusement conformes à ses obligations et que le compte PanEuroLife est étroitement surveillé ».

Une version contestée par Marc Vuillermet, qui soutient avoir informé au plus vite les représentants de son actionnaire du dossier PanEuroLife et de ses développements. « Les procès verbaux qui étaient en notre possession et qui ont été saisis par la justice n’en laissent aucune trace », indiquent pourtant les dirigeants actuels de la banque, récemment nommés par le nouveau propriétaire allemand. Deux versions contradictoires qui laissent augurer de confrontations tendues dans le bureau du juge d’instruction…

Car depuis que l’affaire a éclaté au grand jour, l’ambiance est aux règlements de comptes. A mots à peine couverts, Axa laisse entendre que les activités de PanEuroLife lui ont très vite semblé sentir le soufre. Deux audits, réalisés en mars 1997 et avril 1998, lui ont mis la puce à l’oreille. Conclusion : « En ce qui concerne le cas de la Banque Worms et de PanEuroLife, la non-transparence des directions, leur réticence à communiquer des informations à leur actionnaire, le manque de diligence dans l’application des recommandations qu’il émettait ont été des obstacles constants dans la remise en ordre de ces sociétés. » Fermez le ban ! Une façon de se défausser qui reste en travers de la gorge des dirigeants de la société luxembourgeoise et de la banque.

Sous le sceau de l’anonymat, certains laissent filtrer leur propre lecture des événements. A savoir qu’Axa, qui avait l’intention de vendre PanEuroLife, se serait bien gardé d’attirer l’attention sur les éventuelles turpitudes de sa filiale. Une stratégie qui aurait parfaitement fonctionné, puisque la compagnie d’assurance-vie a été cédée en janvier 1999, pour 1 milliard de francs, à l’américain Nationwide.

A son tour, ce dernier se pose des questions. D’autant que la tourmente judiciaire n’est pas sans conséquences. En France, où PanEuroLife réalise le tiers de ses 800 millions de francs de chiffre d’affaires, l’activité est au point mort et risque de le rester encore longtemps. Nationwide pourrait donc exiger des explications d’Axa et commence à envisager la possibilité de demander réparation du préjudice subi. Enfin, au Luxembourg aussi, l’affaire fait des vagues. On s’inquiète surtout des conséquences qu’elle pourrait avoir sur l’image de la place financière. Trop de bruit risque de faire peur aux clients. « Nous n’avons pas besoin de cela », s’exclame Paul Hammelmann, conseiller juridique et éminence grise de l’Association des compagnies d’assurances, le lobby d’une corporation prospère dont l’essentiel des revenus provient de clients étrangers. Troublé par certaines coïncidences, cet avocat estime toutefois que « nul n’est à l’abri de ses commerciaux ».

Concrètement, l’affaire PanEuroLife pourrait faire évoluer la position du Luxembourg sur la délicate question de la représentation fiscale. En vertu de ce principe, toute société financière exerçant dans un autre pays de l’Union européenne que le sien doit désigner un représentant local et, le cas échéant, communiquer le nom de ses clients aux administrations des impôts. PanEuroLife a fait de ce thème un de ses chevaux de bataille et s’est toujours refusé à désigner un représentant en France. « Même si nous avons juridiquement raison en dénonçant cette obligation, peut-être est-il temps de prouver que nous avons d’autres arguments à faire valoir que la carotte fiscale. En particulier que le Luxembourg propose des produits performants, alimentés en argent officiellement déclaré », explique Paul Hammelmann.

Reste à convaincre la centaine de compagnies d’assurances luxembourgeoises de franchir le pas et d’accepter cette pierre dans leur jardin secret. Ce serait une véritable révolution au grand-duché.

COMMENT DE L’ARGENT PARFOIS DOUTEUX ÉTAIT DISSIMULÉ AU FISC ET BLANCHI VIA LE LUXEMBOURG

Un contrat dans les règles

Le client dispose d’une somme d’argent qu’il préfère voir échapper au fisc français. Il souscrit un contrat d’assurance-vie PanEuroLife proposé par un courtier. Il remplit une proposition de souscription numérotée. Du liquide sur un CCP Les fonds sont déposés en liquide (jamais plus de 50 000 francs) dans un bureau de poste et crédités sur le CCP ouvert par la Banque Worms. Le déposant ne déclare pas son identité ou la falsifie, et indique comme objet du dépôt son numéro de contrat.

L’astuce du compte relais

Les fonds sont ensuite virés informatiquement du CCP de la Banque Worms au compte non-résident ouvert auprès de la même banque par PanEuroLife. Destination Luxembourg L’original du contrat est adressé au siège de la compagnie.

Quant aux fonds, ils sont expatriés, toujours par un jeu d’écritures, au Luxembourg. Les fonds sont « nettoyés » La compagnie d’assurances « réconcilie » les capitaux arrivés de France avec le contrat qui lui est parvenu.

Officiellement, les fonds proviennent du compte ouvert auprès de la Banque Worms, pas d’un CCP. Le fisc n’y a vu que du feu

Le souscripteur demande que lui soient rachetées les parts de son contrat d’assurance-vie. Après quatre ans, les faits de fraude fiscale ou de défaut de déclaration ne sont plus poursuivis. Les capitaux peuvent être rapatriés en France.

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Publié avec l’aimable autorisation du magazine L’Expansion.

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