Accaparement de terres, délit d’initiés, soupçons dans l’entourage du roi… Au Maroc, l’enquête interdite d’Omar Radi

Lundi 19 septembre 2022

International Maroc

Accaparement de terres, délit d’initiés, soupçons dans l’entourage du roi… Au Maroc, l’enquête interdite d’Omar Radi

Condamné à six ans de prison en mars, le journaliste marocain enquêtait sur des expropriations foncières impliquant des proches de Mohammed VI. L’organisation Forbidden Stories, dont l’objet est de mener à bien des investigations inachevées, a poursuivi l’enquête.

Par Cécile Andrzejewski (Journaliste à Forbidden Stories) et Hicham Mansouri Publié aujourd’hui à 18h00, mis à jour à 18h08

L’enregistrement date du 22 décembre 2019. Sur les ondes de Radio M, Ihsane El Kadi, directeur de ce média indépendant algérien, reçoit Omar Radi, un confrère marocain habitué à enquêter sur les liens entre pouvoir et business au Maroc. Celui-ci évoque ses investigations dans le douar Ouled Sbita, au sein de la commune Sidi Bouknadel, proche de Rabat : « [Les habitants] ont été virés de leurs terres agricoles où il y avait une forêt. La forêt [a été] rasée, on a mis à sa place un terrain de golf et on a privatisé la plage (…). On a mis des centaines de villas et de logements de luxe. Nous sommes dans une logique de prédation foncière. » Pour ce journaliste réputé pour son franc-parler, les ennuis commencent…

De retour au Maroc, la police le convoque. Il est placé en détention, au prétexte d’un tweet hostile à un juge. Après une semaine et une campagne massive de soutien, il est libéré à titre provisoire. « J’ai été puni pour l’ensemble de mon œuvre », affirme-t-il alors. Et ce n’est pas fini… En juin 2020, Amnesty International et l’organisation Forbidden Stories révèlent que son téléphone a été infecté par le logiciel espion Pegasus. Plus grave : le 3 mars 2022, il est condamné en appel à six ans de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat » avec « financement de l’étranger » et pour « viol » – deux dossiers distincts, pourtant instruits et jugés conjointement. Lire aussi : Maroc : le journaliste Omar Radi condamné en appel à six ans de prison

Dans la première affaire, une ex-collègue du journal Le Desk l’accuse de l’avoir violée, en juillet 2020. Lui conteste les faits, parlant d’une relation consentie. Dans l’autre dossier, il lui est notamment reproché d’avoir rencontré des officiels néerlandais considérés par le parquet comme des « officiers de renseignement ». L’ONG Human Rights Watch s’insurge alors contre sa condamnation. « Les charges pour espionnage étaient irrecevables parce que basées sur rien, estime l’un des cadres de l’organisation pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Ahmed Benchemsi. Quant à l’accusation de viol, elle aurait mérité un procès juste, autant pour l’accusé que pour la plaignante. » De fait, plusieurs ONG et enquêtes journalistiques dénoncent l’instrumentalisation par le pouvoir marocain de la lutte contre les violences sexuelles à des fins politiques. Omar Radi, qui a déjà passé deux ans en prison, s’est pourvu en cassation. Le subterfuge d’Addoha

Ses ennuis sont-ils liés à son travail sur les expropriations ? Forbidden stories a poursuivi l’enquête sur le douar Ouled Sbita, ce site de bord de mer où un promoteur immobilier, le groupe Addoha, s’est mis en tête, à l’automne 2006, de développer un projet baptisé « Plage des nations ». Un habitant du village, Mohamed Boudouma, a évoqué sur France 24, en février 2017, les coulisses de l’opération : « Notre tribu a été approchée par des représentants de l’Etat qui voulaient [en] acheter les portions littorales. Des délégués, que nous n’avons pas choisis, ont négocié en notre nom avec le ministère de l’intérieur, lequel est propriétaire de ces terres, selon une loi héritée de l’époque coloniale. Nous n’en avons qu’un droit d’usage. Ces délégués nous ont floués en disant que ces terres le long du littoral seraient vendues au roi. En réalité, elles ont été vendues à la société Addoha. » Lire la suite.

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