Affaire Borrel : un militaire rompt le silence

Jeudi 19 juillet 2007

Affaire Borrel : un militaire rompt le silence

Propos recueillis par ANGÉLIQUE NÉGRONI.

Publié le 19 juillet 2007

Actualisé le 19 juillet 2007 : 07h51

Chargé du renseignement militaire à Djibouti au moment de la mort du juge, Loïc Lucas livre sa version.

LE FIGARO. - Vos déclarations au juge d’instruction, relayées par la presse, ont fait grand bruit. À tort, dites-vous, pourquoi ?

Loïc LUCAS. - J’ai indiqué en effet que Bernard Borrel enquêtait sur les trafics impliquant Ismaël Omar Guelleh. Mais je n’ai fait que relayer une rumeur qui circulait. Tout d’abord, un officier de la direction protection sécurité défense (DPSD) m’en a fait part le jour où le corps du juge Borrel a été découvert, le 19 octobre 1995. Puis ce n’est qu’un mois après l’assassinat que deux ou trois autres personnes m’ont livré à nouveau les mêmes indications. Aujourd’hui, je ne me souviens plus de leur identité. Mais soyons extrêmement prudents : dans ce pays où la misère est importante, on vient vite monnayer une information.

Quel crédit accordez-vous alors à ce qui est apparu la semaine dernière comme une nouvelle information ?

Il faut avant tout comprendre notre travail. Le renseignement militaire suppose un réseau d’in-formateurs, issus du monde militaire et de la société civile. Parmi nos sources, on trouve l’homme politique, le policier comme le chauffeur de taxi. Au deuxième bureau, mon champ d’activité était vaste. C’était Djibouti, le Somaliland, le Kenya et la Somalie. Pour ce périmètre, je disposais environ de 80 sources. On accorde du crédit à une information quand on la recoupe et qu’on peut la vérifier. Concernant les activités du juge Borrel qui aurait enquêté sur Ismaël Omar Guelleh, je n’ai jamais eu le moindre début de preuve validant cette information. Il s’agit donc pour moi de rumeurs. Mais comme celles-ci faisaient partie de l’ambiance à Djibouti, il m’a semblé utile d’en parler au juge d’instruction. À l’époque, j’ai aussi avisé mon supérieur hiérarchique, le responsable du deuxième bureau.

Avez-vous enquêté sur la mort du juge Borrel ?

Ce n’était pas la mission du deuxième bureau. À l’inverse, en apprenant cet assassinat, nous devions nous préoccuper du sort de la communauté française et savoir si elle courait un risque. Or, on a pensé un temps que cet assassinat ne serait pas un acte isolé car le contexte politique était particulièrement tendu. Il y avait de terribles luttes de pouvoir pour la présidence. Chacun des candidats voulait arriver à ses fins, Ismaël Omar Guelleh - alors chef de cabinet du président - le premier. On sentait que ces batailles de clan pouvaient dégénérer avec un recours aux armes.

Dès le début, vous avez eu la certitude que la mort du juge Borrel était un assassinat ?

Je commençais mes journées à 5 h 30 pour prendre connaissance des informations parvenues la nuit. Très tôt, ce 19 octobre 1995, un officier de la DPSD m’avait informé de la mort du juge Borrel, que je n’ai d’ailleurs jamais rencontré. J’ai tout de suite pensé à un assassinat justement en raison du climat délétère qui régnait à Djibouti. Comme je l’ai dit dans mes déclarations, pour toute personne qui connaît la zone accidentée et isolée où Bernard Borrel a été retrouvé, l’hypothèse d’un suicide ne tient pas.

Croyez-vous alors à un assassinat commandité par l’entourage d’Ismaël Omar Guelleh ?

Conduit dans un endroit désertique, Bernard Borrel a été aspergé d’essence. On a retrouvé son corps en partie carbonisé en contrebas d’un ravin. Tout s’apparente, selon moi, à des méthodes mafieuses, type règlement de compte corse et auxquelles les tribus du coin n’ont pas recours.

Les auteurs de cette exécution se trouvent peut-être parmi les membres de la communauté française de Djibouti, où le milieu corse est représenté. Dans ce pays gangrené par des trafics en tout genre, certains Français y mènent des activités plus ou moins louches. Borrel a-t-il découvert des agissements répréhensibles ? Comme le dit Ismaël Omar Guelleh, je crois que ce meurtre est une affaire franco-française.

© Le Figaro

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Figaro.

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