Après les déchets, la crise fait les affaires de la « pieuvre »

Dimanche 17 mai 2009 — Dernier ajout samedi 16 mai 2009

15/05/2009 17:06

Après les déchets, la crise fait les affaires de la « pieuvre »

Première entreprise italienne avec 130 milliards d’euros de chiffre d’affaires, les mafias de la péninsule profitent du marasme économique et des injections d’argent public

Ce qui est mauvais pour l’Italie est souvent bon pour ses mafias. Le tremblement de terre dans les Abruzzes en avril dernier ? L’occasion de remporter des marchés publics de reconstruction, via des sociétés écrans qui n’effectueront jamais les travaux ou les feront faire à moindre coût. La crise économique ? Une avalanche d’opportunités pour racheter à bon prix de petites entreprises en difficulté, multiplier les prêts usuriers, voire employer des chômeurs en quête désespérée de travail dans les zones sinistrées.

« La crise est avant tout due à un manque de liquidités. Or, la mafia dispose de grandes quantités d’argent sale », alertait cet hiver Lino Busa, président de l’Association SOS Impresa, qui aide les entreprises victimes du racket et de l’usure. « Le marasme économique permet à la mafia d’accélérer son infiltration dans l’économie, en particulier dans le nord du pays, mais aussi à l’étranger. En temps de crise , les entreprises et les commerces ont moins de scrupules à traiter avec des investisseurs ou entrepreneurs suspects, elles s’interrogent moins sur la provenance de l’argent qu’on leur offre. »

Son association constate une explosion du nombre de victimes de l’usure. « Toutes les catégories sociales sont frappées : mères de famille, ouvriers, petits patrons. Et certains craignent que la crise mine tous les efforts faits en Italie contre la criminalité », pointe-t-il. Pour Xavier Raufer, spécialiste de la criminalité, « la crise n’est qu’une opportunité parmi d’autres pour les mafias », qu’il assimile à « une maladie » qui se répand, faute de « traitements ». « L’envoi de mafieux en prison, la dissolution de groupes ont porté un coup sévère à certaines, mais n’y ont pas mis fin. Les mafias vivent en se sachant indestructibles. Elles ont toujours trouvé les moyens de se régénérer. » Une des régles : la clandestinité

La pieuvre a appris à s’adapter. « Une des règles à ne pas enfreindre dans un milieu hostile est la clandestinité, qui impose l’interdiction absolue de toute fréquentation à long terme avec les autres », résume Xavier Raufer. La Cosa Nostra sicilienne, qui fut la plus affaiblie par l’opération « mains propres » en Italie dans les années 1990, a préféré « renoncer au trafic de stupéfiants, qui l’amenait à fréquenter des gens en dehors de la famille, pour se recentrer avec succès sur le pillage de marchés publics et le racket ». Son travail d’« immersion profonde dans la société » passe par l’infiltration de toutes les strates, y compris des « comités anti-mafias », note-t-il.

Ses cousines, la Camorra napolitaine et la ’Ndrangheta calabraise, que certains assimilent à des « holdings économico-financiers », sont moins hostiles à collaborer avec d’autres groupes mafieux, notamment latino-américains, pour le trafic de cocaïne. Ce qui explique en partie, selon Xavier Raufer, que l’importation de cocaïne en Europe ait été multipliée par six en cinq ans, passant de 50 à 300 tonnes entre 2002 et 2007, selon Europol. Mais, selon lui, « il n’y a pas d’alliance à long terme, ni de business plan entre les groupes. Juste du coup par coup. »

« S’il y a des coopérations entre groupes criminels, elles ne durent que le temps du trafic, poursuit Fabrizio Maccaglia, géographe qui prépare un atlas sur les mafias avec une collègue historienne. Nous ne partageons pas la thèse de la conspiration des mafias qui dominent la scène internationale. Déjà, parce qu’il leur faut trouver des intermédiaires locaux, ce qui est toujours plus difficile et risqué à l’étranger. » Outre sa pérennité, la criminalité mafieuse se caractérise selon lui par « sa capacité à dominer un territoire et à le contrôler ». L’Europe, la poule aux œufs d’or

L’infiltration des milieux économiques et politiques lui permet notamment de remporter des marchés publics, particulièrement juteux en ces temps de plans de relance. La poule aux œufs d’or reste l’Europe. « Les mafias établissent des projets fictifs de grandes infrastructures, d’autoroutes ou d’énergies alternatives pour s’emparer de fonds européens », confie un juge italien.

L’ouverture des frontières et la dématérialisation des transferts financiers facilitent ensuite le recyclage de l’argent sale dans des biens de luxe, des produits financiers ou des achats de terres ou de centres commerciaux dans toute l’Europe, et notamment en France. Or, l’Hexagone ne permet pas d’enquêter sur le compte d’une personne suspectée d’appartenir à la mafia. « La logique du chiffre va aussi à l’encontre de la lutte contre la criminalité financière de type mafieux, fait remarquer le magistrat Éric Alt.

Le juge d’instruction est moins saisi et privilégie des affaires avec un taux d’élucidation élevé pour avoir une note favorable. Lutter contre le proxénétisme ou la traite des humains suppose du temps. D’autant qu’il peut être difficile d’obtenir ensuite l’entraide judiciaire avec un pays tiers. »

Aude CARASCO

© copyright la-Croix.com 2005

Publié avec l’aimable autorisation du journal La Croix.

Visitez le site du journal La Croix.

Revenir en haut