Comment Monaco s’est débarrassé d’un magistrat jugé trop curieux

Mardi 22 mars 2022

Société Justice

Comment Monaco s’est débarrassé d’un magistrat jugé trop curieux

L’enquête du « Monde » sur les conditions de l’éviction d’Edouard Levrault, un juge d’instruction français qui fut en poste en Principauté entre 2016 et 2019, jette une lumière crue sur les coulisses de la justice locale.

Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme Publié aujourd’hui à 18h00, mis à jour à 18h21

Le SMS date du 3 août 2019 ; il est signé de Brigitte Gambarini, à la tête de la cour d’appel de Monaco depuis 2012 : « Mon entretien d’une heure avec le souverain a été aussi pénible que dense (…) Ses propos étaient très injustes envers moi, mais il m’a presque peinée, et je l’ai trouvé très seul. » Ce message fait partie des centaines d’échanges que l’ex-juge d’instruction monégasque Edouard Levrault a exhumés de la messagerie WhatsApp installée sur le téléphone de sa compagne, canal qu’il utilisait pour discuter en toute confidentialité avec Mme Gambarini entre août – date de son éviction du Rocher, où le magistrat était en poste depuis trois ans – et janvier 2021.

Expurgées de leurs contenus privés puis authentifiées par un constat d’huissier le 7 mai 2021, ces conversations, dont Le Monde a pu prendre connaissance, jettent une lumière crue sur les mœurs judiciaires locales. Leur révélation pourrait causer de nouveaux remous dans la Principauté, déjà ébranlée par une histoire à laquelle Le Monde vient de consacrer une enquête en deux volets : l’affaire dite des Dossiers du Rocher, un site Internet où une source anonyme lance de graves accusations, depuis quelques mois, contre l’entourage du Prince.

Edouard Levrault est un juge d’instruction du genre téméraire comme les redoute la Principauté. « Exfiltré » contre son gré vers le tribunal de Nice en 2019 (il y préside actuellement une chambre correctionnelle), après trois ans de détachement à Monaco, ce magistrat de 45 ans a fait vaciller le Rocher. Et ce n’est peut-être pas terminé. En charge entre 2016 et 2019 de plusieurs dossiers sensibles, il a notamment inculpé le propriétaire du club de football local, l’AS Monaco, Dmitri Rybolovlev, dans l’affaire Bouvier, du nom d’un marchand d’art avec lequel l’oligarque russe est en conflit. En marge de cette affaire, le juge a inculpé plusieurs autres figures de la Principauté (un ministre, plusieurs responsables de la police…) soupçonnées d’avoir œuvré en faveur de Rybolovlev. Il a été jusqu’à réclamer l’audition du prince Albert en personne.

Saisie de la CEDH

Parmi les personnalités poursuivies, Christophe Haget, patron de la police judiciaire monégasque, alors défendu par Eric Dupond-Moretti du temps où il était encore avocat. Tout sauf un détail. Car à peine nommé ministre de la justice par Emmanuel Macron, en juillet 2020, l’ex-avocat s’empresse de saisir l’inspection générale de la justice (IGJ) afin d’engager des poursuites disciplinaires contre Edouard Levrault, au motif que le magistrat aurait « manqué à ses devoirs de réserve et de prudence » en acceptant de se livrer le 10 juin 2020 à l’émission de télévision « Pièces à conviction », diffusée sur France 3. Suspecté d’avoir profité de son arrivée à la chancellerie pour régler ses comptes avec M. Levrault, le garde des sceaux est poursuivi par la Cour de justice de la République, depuis le 16 juillet 2021, pour « prise illégale d’intérêts ». Lire la suite.

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