Congo-Brazzaville, dette : Mondialisation

Mercredi 23 mai 2007

Congo-Brazzaville, dette : Mondialisation

« La Banque mondiale et le FMI viennent d’annoncer une réduction de la dette du Congo-Brazzaville qui est très loin de faire l’unanimité. Car comme nous allons le voir, ce petit pays d’Afrique centrale est un exemple révélateur du lien extrêmement étroit existant entre dette, corruption et pauvreté.

En 1979, Denis Sassou Nguesso, soutenu par la société française Elf, prend le pouvoir au Congo. Sous sa première présidence, de 1979 à 1991, Elf et les cercles proches du pouvoir se régalent des conditions d’exploitation pétrolière privilégiées. En 1991, une Conférence nationale souveraine s’étonne des faibles revenus que le pétrole génère pour le budget congolais et demande un audit indépendant. Cet audit est torpillé par Elf qui pratique une obstruction systématique et corrompt les personnalités concernées, comme l’a reconnu un haut dirigeant d’Elf devant la justice française en mars 2003. Lors de l’élection présidentielle de 1992, Sassou est largement battu dès le premier tour. Le nouveau président, Pascal Lissouba, augmente la redevance pétrolière de 17 % à 33 % et passe un accord avec l’entreprise états-unienne Occidental Petroleum. C’est un casus belli pour Elf qui, pour remporter la mise à coup sûr, décide d’armer aussi bien le camp présidentiel que celui de Sassou, personnage-clé des réseaux françafricains finalement vainqueur de la guerre civile qui déchire le pays entre juin et octobre 1997. Après le vote d’une Constitution sur mesure, des élections manipulées légitiment Sassou au poste de Président en 2002. Aujourd’hui, le Congo est un des pays du Sud les plus endettés par habitant, avec une dette extérieure de 9,2 milliards de dollars à la fin 2004 pour moins de 4 millions d’habitants. Mais cet endettement n’a absolument pas servi à assurer un minimum d’infrastructures et de services de base aux populations, qui voient leurs conditions de vie précarisées un peu plus chaque jour : eau courante et électricité de plus en plus rares, et même pénuries d’essence régulières ! Indéniablement, le trio dette-corruption-pauvreté est à l’œuvre.

Par ailleurs, craignant que les défauts de remboursement de la dette ne se multiplient dans les pays en développement, les créanciers lancent en 1996 l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés). Cette initiative, qui doit officiellement régler le problème de la dette, contraint en fait les 42 pays choisis, dont le Congo, à appliquer des réformes économiques très dures pour les populations : réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base, privatisations des entreprises publiques, libéralisation de l’économie au profit des multinationales… Au bout de trois années de cette potion amère, arrive le point de décision : si la dette est jugée insoutenable, le pays bénéficie de premiers allégements sur son service de la dette. Après une seconde période de réformes exigées par le FMI, arrive le point d’achèvement, où finalement seules les créances que le pays ne parvenait pas à rembourser sont annulées… La dette est juste écrémée et le pays continue de rembourser au maximum de ses capacités financières. En réalité, rien ne change.

Le 9 mars dernier, le Congo a achevé la première phase avec beaucoup de retard. Les institutions financières internationales ont longuement tergiversé en raison des soupçons de détournement et de dissimulation de fonds. Le pouvoir congolais prétend les mettre à l’abri de fonds vautours qui rôdent, sans pour autant parvenir à justifier les sombres agissements de la Société nationale des pétroles congolais (SNPC). La bataille pour les revenus du pétrole fait donc rage entre les proches du pouvoir et certains créanciers douteux. Fin février, le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, est intervenu personnellement pour bloquer la décision, mais d’autres intérêts géostratégiques ont alors pris le dessus : Sassou, tout nouveau président de l’Union africaine, est appuyé par les puissants soutiens dont il dispose au sein des pays riches. C’est ainsi que le Congo est devenu le 29e pays à atteindre le point de décision. Mais cette décision est-elle opportune ? N’est-ce pas là apporter un soutien fort discutable au régime de Sassou ? Faut-il alors se réjouir d’une réduction de la dette à venir ou conditionner cette réduction à l’éradication de la corruption ? Dans ce cadre, quel doit être le rôle du FMI ?

Si la question de savoir comment lutter efficacement contre la corruption est essentielle, elle dépasse le strict cadre congolais et ne doit pas conduire à légitimer le FMI comme un acteur central dans cette lutte. En effet, le modèle économique promu par le FMI au nom des principaux créanciers depuis les années 1980 - dont l’initiative PPTE n’est que le prolongement - est structurellement générateur de dette, de corruption et de pauvreté. Une solution à ces trois axes socialement juste et écologiquement soutenable passe inévitablement par une remise en cause du modèle économique lui-même. Le FMI n’a aucune légitimité pour agir contre une corruption dont il s’est fort bien accommodé depuis des années, et qu’il a aussi instrumentalisée à dessein.

En réalité, un changement radical passe par un triple refus : le refus de la domination imposée via la dette par le FMI et la Banque mondiale au peuple congolais, au bénéfice des riches créanciers et des sociétés multinationales ; le refus de l’initiative PPTE qui prolonge ce modèle et vise à anesthésier toute forme de contestation du modèle économique actuel imposé de l’extérieur ; le refus de l’accaparement des richesses, notamment pétrolières, par Sassou et son entourage, soutenus par la France et Total, héritière de l’empire mafieux Elf. Ce modèle alternatif passe ainsi par l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique congolaise, l’abandon des politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI, la création de fonds de développement gérés intégralement par les populations et alimentés de diverses manières (revenus du pétrole, expropriation des fortunes détournées par les élites corrompues et souvent placées dans des paradis fiscaux, mécanismes de redistribution de la richesse). Une vraie lutte contre la corruption sera alors possible et les véritables responsabilités dans la situation actuelle seront identifiées. On est très loin des remèdes frelatés du FMI. »

Damien MILLET, président du CADTM France,

Tribune Quelle solution pour la dette congolaise ?, le 18/03.

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