Gabriel Zucman : « L’harmonisation fiscale est le grand impensé de la construction européenne »

Mercredi 10 février 2021

Gabriel Zucman : « L’harmonisation fiscale est le grand impensé de la construction européenne »

Par Anne Michel , Maxime Vaudano et Jérémie Baruch

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 06h00

Entretien Professeur d’économie à Berkeley, le chercheur français estime, dans un entretien au « Monde », qu’il y a urgence à ce que l’Europe harmonise ses règles d’imposition.

Gabriel Zucman est l’un des meilleurs connaisseurs des paradis fiscaux, il scrute l’évolution de la répartition de la richesse à l’échelle mondiale. Professeur d’économie à l’université de Berkeley (Californie), le chercheur français a cosigné, début 2020, Le Triomphe de l’injustice (Seuil), un constat implacable sur l’évasion fiscale des plus riches, doublé de propositions concrètes pour y remédier. Il s’exprime sur le rôle central joué par le Luxembourg dans l’évasion fiscale internationale, mis en évidence par l’enquête OpenLux.

L’enquête OpenLux montre qu’une part significative de l’économie du Luxembourg est artificielle : 55 000 holdings, sans bureaux ni salariés, détiennent 6 000 milliards d’euros. Etes-vous surpris ?

C’est la première fois que nous disposons de chiffres aussi précis sur le stock de structures purement financières au Luxembourg. Ils permettent de décrire l’ampleur de l’industrie des sociétés-écrans bien plus finement que les statistiques macroéconomiques.

Peut-on considérer le Luxembourg comme un paradis fiscal ?

Le Luxembourg est une plaque tournante de l’optimisation internationale. Contrairement à beaucoup de paradis fiscaux, spécialisés sur certains créneaux, le Luxembourg est présent sur tous les maillons de la chaîne : la gestion de fortune privée à la façon de la Suisse, l’investissement dans des fonds comme les îles Caïmans, l’ouverture de sociétés-écrans comme le Panama ou les îles Vierges britanniques, et la délocalisation de profits des multinationales comme l’Irlande ou les Pays-Bas. Le Luxembourg joue aussi un rôle-clé dans l’industrie des fonds d’investissement, qui gèrent 4 800 milliards d’euros. Or, une partie de l’activité de ces fonds consiste à recycler des richesses placées par de riches individus dans d’autres centres offshore comme la Suisse.

Comment ce pays fondateur de l’Union européenne (UE) en est-il arrivé là ?

Sous l’effet de la mondialisation, toutes les nations sont en train de devenir des nains économiques à l’échelle de la planète, et dans ce contexte, beaucoup sont tentées de se muer en paradis fiscaux. Pour le Luxembourg, l’histoire a commencé dans les années 1980. Le pays s’est transformé en place offshore quand l’industrie sidérurgique a décliné. Cette mutation a été facilitée par une série de non-choix politiques européens. L’UE ne met aucune limite à la concurrence fiscale entre les pays : les traités acceptent même un taux d’imposition sur les sociétés de 0 % ! Jouer la concurrence fiscale peut rapporter gros à de petits pays, dès lors qu’ils attirent un grand nombre d’entreprises ou des milliards de bénéfices comptables. Appliqué à une énorme assiette fiscale, même un taux faible génère beaucoup d’impôts à l’échelle de leur économie. Lire la suite.

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