Génocide des Tutsi : « Monsieur le Président, le temps est venu de vous adresser aux survivants »

Mercredi 7 avril 2021

Génocide des Tutsi : « Monsieur le Président, le temps est venu de vous adresser aux survivants »

TRIBUNE Collectif

Pour les rescapés rwandais vivant en France, la République doit aujourd’hui présenter ses excuses aux victimes et familles endeuillées.

Publié hier à 19h00, mis à jour à 08h30

Tribune. En 1994, nous étions pourchassés, traqués, renvoyés à la condition animale par nos meurtriers parce que nous étions nés tutsi. Dans ces moments d’immense solitude, envahis par une peur extrême de mourir découpés à la machette, nous fabriquions des lueurs d’espoir pour nous accrocher à la vie qui nous échappait à chaque minute qui passait

Puisque nous étions convaincus de notre appartenance à la communauté des humains, beaucoup d’entre nous, jeunes et naïfs, se sont dit que « le monde » viendra nous secourir dès qu’il saura ! D’autres ont vu très tôt leurs espoirs s’évaporer en voyant les soldats étrangers trier ceux qui possédaient les bons passeports pour être évacués. Leur vie et celle de leurs chiens valaient plus que celle des Tutsi.

De moins en moins nombreux au fil des jours et des semaines qui passaient, affamés, trempés jusqu’aux os, lassés, nous avons miraculeusement déjoué la mort. Personne ne sera venu à notre secours. Personne jusqu’à ce que les soldats du Front patriotique rwandais (FPR) arrêtent cette mort programmée au péril de leur vie. Certains d’entre nous pensions jusqu’alors que « le monde » n’avait pas su. Puis, nous avons compris qu’il avait su mais s’était tu.

Progressivement, nous avons compris que l’Etat français en particulier avait choisi le camp de nos bourreaux. Il a soutenu le régime raciste de Habyarimana qui nous obligeait déjà écoliers à nous lever pour décliner notre ethnie. Il a soutenu ce régime ségrégationniste qui nous empêchait par des quotas officiels d’accéder aux études secondaires et universitaires et qui nous excluait d’office de certains emplois. Il a soutenu ce régime qui organisait des pogroms contre les Tutsi.

Prétendue cécité

Un régime qui préparait notre extermination. La France d’alors, dirigée par François Mitterrand, a soutenu ce Rwanda-là malgré les avertissements de certains de ses diplomates, de ses chargés de coopération, de la DGSE, des ONG. De retour du Rwanda, le témoignage émouvant de Jean Carbonare en janvier 1993 sur le plateau du 20 heures de Bruno Masure n’a rien changé. Le soutien a été maintenu et poursuivi en faveur d’un Etat qui commettait le génocide contre nous.

Dès lors, en tant que rescapés, nous ne pouvons admettre ni croire en « l’aveuglement », terme utilisé par la commission Duclert pour expliquer les choix des autorités françaises. Qu’aurait-il fallu de plus pour prévenir cette prétendue cécité ?

Monsieur le Président, il y a deux ans, vous avez reçu des membres d’Ibuka France [« Souviens- toi » en kinyarwanda] qui œuvre pour la mémoire, le soutien aux rescapés et la justice. Suite à cette rencontre, vous avez décidé d’instituer le 7 avril comme journée officielle de commémoration du génocide des Tutsi. Une première étape pour « inscrire le génocide dans la mémoire collective française », selon vos propres termes et nous vous en remercions. Lire la suite.

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