Guerre en Ukraine : l’étonnante communauté des traqueurs de yachts

Lundi 28 mars 2022

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Guerre en Ukraine : l’étonnante communauté des traqueurs de yachts

Lancée sur la piste des oligarques russes, un groupe d’internautes traque les navires de luxe et les jets privés des riches soutiens du régime de Poutine, en collectant les données publiques à disposition.

Par Lucas Minisini Publié hier à 06h15, mis à jour hier à 17h33

Alex Finley compte quatre yachts. Chaque navire lui semble plus imposant que le précédent. Ce 13 mars, à Tarragone, près de Barcelone, sur le port Tarraco, l’ancienne officière de la CIA devenue autrice de romans ­d’espionnage est lancée avec deux amies dans une chasse un peu spéciale. Elles recherchent le Crescent. Cent trente-cinq mètres de long, cinq niveaux, une piscine, deux helipads et un « atrium entouré de baies vitrées », selon le site YachtCharterFleet.com.

Les dernières coordonnées GPS disponibles sur la plateforme MarineTraffic, diffusées en novembre, plaçaient le vaisseau en Catalogne, près de Barcelone. Il est bien là sur cet embarcadère spécialement conçu pour accueillir des « superyachts », de 45 mètres à 160 mètres de long. Le Crescent est séparé des autres bateaux, en partie camouflé par une barrière pour éviter les regards indiscrets. « Vu sa taille, ça ne couvrait qu’une minuscule partie à la poupe », raconte Alex Finley, par WhatsApp.

Elle enquête, espérant découvrir l’identité du propriétaire, restée secrète. Le 16 mars, l’agence Reuters révèle qu’il appartient à l’oligarque Igor Setchine, PDG de l’entreprise ­d’hydrocarbures Rosneft, visé par les sanctions européennes en réponse à l’invasion russe en Ukraine. Dans la foulée, le gigantesque vaisseau est saisi par les autorités espagnoles.

Des symboles d’une « kleptocratie » liée à Poutine

Basée à Barcelone, Alex Finley a d’abord mené ce type de « recherches » pour son travail de renseignement au sein de la CIA. Une fois reconvertie en autrice, elle utilise ses connaissances pour nourrir ses fictions. Depuis le début de la guerre en Ukraine, elle poste les résultats de cette quête inédite sur son compte Twitter (suivi par plus de 40 000 personnes aujourd’hui), avec le hashtag #yachtwatch. Jusqu’à devenir l’une des personnalités les plus respectées des amateurs de traque.

This makes TEN ! #YachtWatch AXIOMA (Pumpansky) detained in Gibraltar. https://t.co/9iPHwjxJE2 — Alex Finley (@alexzfinley) March 22, 2022

Aujourd’hui, des milliers de personnes participent activement à ce petit jeu du chat et de la souris, version oligarques russes. Difficile d’évaluer plus précisément leur nombre. Cette étonnante communauté rassemble de façon aléatoire des anonymes, des anciens des services de renseignement, des étudiants et quelques entrepreneurs dans la tech. « En deux semaines, j’ai traqué tellement de yachts », raconte Alex Finley.

Et la chasse continue. Pour pister yachts et jets privés appartenant à l’élite russe, cette communauté en ligne multiplie les stratégies. Les révélations contenues dans des enquêtes journalistiques, comme les « Pandora Papers » publiées à l’automne 2021, leur permettent de dénicher les propriétaires de ces biens. Il suffit alors de les suivre à la trace. Pour ça, les coordonnées GPS des avions privés et des yachts sont généralement accessibles publiquement. Si bien que, depuis début mars, quatre oligarques ont décidé de s’affranchir de la légalité en stoppant la diffusion de leurs coordonnées aux autorités maritimes. Lire la suite.

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