Hold-up social chez Solymatic

Samedi 10 novembre 2007

L’Humanité - 8 mai 2004

Hold-up social chez Solymatic

1 000 salariés sur le carreau suite au rachat de l’entreprise par l’acteur suisse UBS.

Lyon, envoyée spéciale.

Vastes sentiments d’angoisse et de gâchis, malgré le soulagement évoqué « d’en finir enfin ». Après de longs mois de descente aux enfers pour ses quelque mille salariés, l’entreprise lyonnaise Solymatic Valiance vient d’annoncer sa mise en cessation de paiement. À la sortie du comité d’établissement (CE) qui suit ce brutal épilogue, les élus et représentants syndicaux se retrouvent autour de la table d’un restaurant dans la zone industrielle montante de Vaise, une brasserie sans grand apprêt en marge des sièges de compagnies flambant neufs. Cadres ou techniciens, ils ont autour de trente-quarante ans, à l’instar du reste du personnel de Solymatic, où n’existe aucune convention collective. D’étiquettes CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC ensemble, ils échangent leurs analyses convergentes autour des assiettes de charcuterie lyonnaise, examinent leurs possibilités de riposte commune par-delà leurs cultures syndicales différentes. Lors du CE du matin, disent-ils, s’est déroulé comme d’habitude avec la direction un dialogue de sourds. De toute façon, l’urgence n’était plus à une discussion stratégique stérile, car il fallait d’abord évoquer, en premier lieu, les modalités de versement de la prochaine paye des salariés.

Solymatic Valiance est le premier opérateur national en maintenance d’automates bancaires, le deuxième pour la maintenance des terminaux de paiement. Composée d’une soixantaine de centres techniques répartis à travers toute la France, l’entreprise compte également une activité de maintenance informatique en entreprise. Elle présentait encore jusqu’à fin 2001 une croissance à deux chiffres.

En 1999, l’Union des banques suisses (UBS) a racheté Solymatic, à l’aide d’un montage financier particulier : le LBO, ou Leverage Buy-Out, procédé plébiscité par les milieux financiers et qui consiste à acquérir une société en recourant à la dette. Les emprunts sont alors remboursés par des prélèvements réguliers sur les flux de trésorerie disponibles dans les sociétés ainsi contrôlées. Or, souligne la CFTC avec ses autres partenaires syndicaux, " la question se pose de l’intérêt pour le groupe Valiance d’un montage financier adapté usuellement à des repreneurs manquant de fonds, ce qui est loin d’être le cas pour UBS : le LBO fait payer par l’entreprise le capital qui aurait dû être mis par l’actionnaire, une sorte de « capitalisme sans capital » pour simplifier ". De fait, UBS a vite exposé publiquement que son intérêt dans l’acquisition de Valiance était la revente du groupe avec plus-value. « C’est pourquoi il lui a fallu »habiller la mariée« au détriment de l’intérêt même d’une politique industrielle cohérente », analysent les syndicats. Avant l’arrivée d’UBS, les principaux actionnaires de Solymatic, diverses grandes banques françaises, en étaient aussi les principaux clients.

Concrètement, le rachat par UBS s’est traduit par une chute libre des investissements. En 2001, ceux-ci représentaient encore 1,5 million d’euros, soit 2,1 % du chiffre d’affaires. Ils sont tombés à 1 million en 2002 puis 0,7 million en 2003, soit 1,2 % du chiffre d’affaires seulement. « En 2002-2003, on a perdu de nombreux contrats, et, faute d’argent pour un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), il y a eu de nombreux départs arrangés », raconte Éric Maillard, représentant CGT. « Les syndicats, à la recherche d’une stratégie efficace et pris de court par le chantage de la direction au dépôt de bilan, ont laissé faire, autant que possible sous contrôle. Puis l’inspection du travail a mis le holà à cette manouvre qui ne réglait rien, d’autant moins que les décisions stratégiques nécessaires par ailleurs n’étaient pas prises. » Car en effet, lorsqu’il s’agit de mettre en ouvre une politique commerciale offensive, UBS brille soudain par son absence : la responsable du compte Valiance chez UBS, basée à Londres, n’est presque jamais venue à Lyon, et le groupe suisse a du reste délégué la gestion de l’entreprise à un gestionnaire de comptes parisien, la société Avesta.

Depuis septembre 2003, l’ambiance est délétère. Solymatic doit environ 2 millions d’euros d’arriérés aux tiers publics (URSSAF, taxe professionnelle). La perte des contrats se poursuit sans que la direction ne redresse la situation. En décembre, le commissaire aux comptes de Solymatic déclenche son droit d’alerte, signalant l’absence explicite de « projet d’entreprise ». Dans une lettre d’avertissement de janvier, il attire encore l’attention de la direction sur le fait que l’absence de soutien direct d’UBS compromet la continuité d’exploitation. UBS, pendant ce temps, réalisait 4 milliards d’euros de profits en 2003. « Il n’est donc pas déplacé, vu sa responsabilité, d’envisager qu’UBS contribue pour tout ou partie aux besoins de financement de Solymatic », s’accordent les syndicats.

Les dégâts sur les salariés sont visibles. Cadres et techniciens racontent la multiplication des absences pour cause de dépression dans l’entreprise. Ces derniers mois, raconte Sébastien Jay, CFDT, trente-cinq ans, délégué toulousain de Solymatic, « nous étions tous gagnés par cette lourde atmosphère. Et pourtant, nous avons continué notre travail avec une grande conscience professionnelle ». Pascal Guillard, de la CFE-CGC, raconte la même histoire que celle de ses collègues, mais vue du côté de l’encadrement : « La direction s’est repliée sur elle-même ces dernières années sans aucun projet visible autre que celui de la revente, laissant les cadres livrés à eux-mêmes. Enfermés dans leur bureau, sans plus aucune motivation ni objectif fixé, sans aucun accès à l’information ni pouvoir de décision non plus, eux aussi dépriment. » Tous sont attachés à l’entreprise et à leurs métiers respectifs. « Cela fait onze ans que je suis à Solymatic », continue Laurent Buinoud, élu CGT, trente-cinq ans également. " Jusqu’à l’arrivée d’UBS, j’ai toujours vu la boîte grandir et prospérer. Il est difficile d’admettre une chute aussi rapide. À la fin, les gens espéraient presque être nommés comme futurs licenciés. « SébastienJay nuance : » D’autres, à l’inverse, malgré l’évidence, dopés par les discours lénifiants de la direction, refusaient de croire à une fin de l’entreprise. Quand nous tentions de leur faire admettre l’urgence de se battre, ils ouvraient de grands yeux surpris. « Lui-même dit ne s’inquiéter que modérément pour son propre avenir, puis confie, après un temps de silence : » Des copains de ma génération, à Toulouse, sont au chômage depuis plus d’un an et n’ont toujours rien retrouvé. « Éric Maillard éclate, amer : » Notre angoisse est d’être virés avec un PSE plancher et de voir certains d’entre nous finir SDF. « Parler à la presse n’est pas évident pour ces syndiqués souvent encore récents. La CGT elle-même, aujourd’hui premier syndicat de Solymatic, n’y a été créée qu’en 1997. Tous, ils ont intégré le besoin de faire corps avec leur entreprise, et la pression exercée sur eux pour qu’ils préservent coûte que coûte l’image d’une boîte soumise à la concurrence a laissé des traces, y compris aujourd’hui encore, alors que la cessation de paiement est acquise. La volonté de garantir la pérennité de l’unité du travail intersyndical entrepris par-delà des cultures militantes diverses, entre certainement aussi en ligne de compte. Car les quatre sections présentes dans l’entreprise, CGT, CFDT, CFTC et CFE-CGC, ont appris en quelques années à collaborer durablement. Plusieurs fois, les élus au comité d’entreprise et représentants syndicaux se sont ainsi mobilisés, pour des » actions coup de poing « à Paris et ailleurs, devant le siège français d’UBS et le tribunal du commerce par exemple. » Nous en prendre publiquement à UBS fait sens : les banquiers dépensent beaucoup pour leur image ", explique Laurent Buinoud.

Y aura-t-il repreneur pour Solymatic Valiance ? Assez probablement, estiment les syndicats, mais pour quel démantèlement du groupe et quelles coupes claires parmi les employés, quelles remises en cause enfin des acquis ? « Le démembrement de notre entreprise est dur à supporter, lâche Éric Maillard, alors que nous nous battons collectivement pour notre outil de travail, que nous savons fiable. » Puis, faisant allusion à une autre affaire de reprise d’entreprise par UBS dans un montage financier similaire, celle de Valfond en Lorraine, soldée également par une fermeture, il ajoute : " Et je voudrais quand même qu’on m’explique : comment comprendre qu’un groupe bancaire d’une telle envergure est capable de faire plusieurs fois la même erreur ? "

Karine Gantin

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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