« Il est logique de voir CNews, liée aux opérations africaines de Bolloré, militer contre l’étude des séquelles du colonialisme »

Samedi 6 mars 2021

« Il est logique de voir CNews, liée aux opérations africaines de Bolloré, militer contre l’étude des séquelles du colonialisme »

Au Togo, Vincent Bolloré prospère en finançant le maintien au pouvoir du satrape local, héritier de la présence coloniale française. A Paris, il entretient une chaîne de télévision engagée dans une guerre idéologique contre ceux qui s’intéressent au « postcolonial », explique, dans sa chronique, Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 00h30, mis à jour à 10h15

Philippe Bernard éditorialiste

Chronique. « Oui Mme la présidente. » Quatre mots prononcés par Vincent Bolloré, vendredi 26 février, ont suffi pour que le piège se referme. Le magnat de la logistique et de la communication venait de reconnaître sa culpabilité devant le tribunal judiciaire de Paris.

Oui, il savait qu’Euro RSCG (aujourd’hui Havas), une des pépites de son groupe, avait aidé l’indéboulonnable président du Togo, Faure Gnassingbé, à se faire réélire en 2010. Oui, 300 000 euros de prestations de « communication » ont été offerts à ce potentat africain, l’une des figures les plus caricaturales de la « Françafrique », par une autre société du groupe Bolloré afin d’obtenir l’attribution d’une concession de trente-cinq ans du port de Lomé. Oui, quelques mois après la présidentielle, le même Bolloré a fourni un emploi fictif à 8 500 euros mensuels à Patrick Bolouvi, demi-frère du président togolais.

Mais ces aveux, qui devaient éviter un procès retentissant grâce à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le « plaider coupable » à la française, se sont retournés contre le milliardaire. Contre toute attente, Isabelle Prévost-Desprez, ancienne juge d’instruction spécialisée dans les affaires politico-financières qui présidait l’audience, n’a pas « homologué » les peines requises par le parquet, 375 000 euros d’amende.

A la consternation de Vincent Bolloré et des dirigeants d’Havas présents à l’audience, la juge a estimé que les faits reprochés avaient « gravement porté atteinte à l’ordre public économique » et « porté atteinte à la souveraineté du Togo ». Ironie supplémentaire, une amende de 12 millions d’euros a été infligée en parallèle à la société Bolloré SE au titre de personne morale.

Surtout, le procès correctionnel redouté par l’homme d’affaires devrait avoir lieu et étaler publiquement la façon dont un groupe français assoit ses positions en Afrique en « faisant » des chefs d’Etat. Des représentants de la société civile togolaise espèrent pouvoir s’y exprimer. « On nous dit que nous sommes des pays pauvres alors que nous avons des potentialités qui pourraient permettre aux populations de vivre heureuses, estime David Dosseh, président du collectif Togo debout. Beaucoup d’argent malheureusement disparaît dans la corruption. »

Un terrible symbole

De fait, Vincent Bolloré parvient à faire ce que l’Etat français réussit de moins en moins : s’attirer les bonnes grâces de dirigeants africains et leur servir d’assurance-vie. A l’homme d’affaires ils sont redevables de leur réélection grâce aux « conseils » des « sorciers blancs » de la com, selon l’expression du journaliste Vincent Hugeux (Les Sorciers blancs. Enquête sur les faux amis français de l’Afrique, Fayard, 2007). Affiches géantes, matériel et stratégie de campagne, lien avec les politiques français contre concessions portuaires, avantages fiscaux et autres gestes d’amitié. Lire la suite.

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