L’odeur de l’argent : l’affaire Magnitski ressurgit en France

Jeudi 25 juin 2015

L’odeur de l’argent : l’affaire Magnitski ressurgit en France

AFP 25 juin 2015 à 11:21

La mort en détention, fin 2009 en Russie, de Sergueï Magnitski avait déclenché une tempête diplomatique entre Washington et Moscou : l’énorme escroquerie fiscale dénoncée par cet avocat est aujourd’hui l’objet d’une enquête à Paris par des juges financiers français.

Ce fiscaliste moscovite est devenu un symbole de la lutte contre la corruption en Russie : selon ses soutiens, il a été injustement emprisonné avant de perdre la vie pour avoir dénoncé ces malversations massives au préjudice des contribuables russes, commises avec la complicité de fonctionnaires.

« Cela fait cinq ans et demi que nous essayons de lui rendre justice. » Ainsi est venu s’exprimer le 20 mai devant les magistrats français, l’ancien patron de Magnitski, Bill Browder, dirigeant du fonds d’investissement Hermitage et, jusqu’à son expulsion du pays en novembre 2005, acteur majeur de la finance russe.

Selon son audition dont l’AFP a eu connaissance, Bill Browder, de nouveau entendu mardi, leur a décrit ses « recherches pour savoir où se trouvait l’argent » détourné du fisc russe par des escrocs qui avaient pris le contrôle d’Hermitage. Des fonds qui auraient été blanchis pour partie en France, justifiant le déclenchement de l’enquête à Paris, début 2014, confiée en avril à trois juges.

Bill Browder et Hermitage ont longtemps bénéficié « d’une approbation tacite du pouvoir » russe au nom d’un « intérêt commun », a-t-il dit : la lutte contre les oligarques. Mais, terrorisés par la chute brutale et médiatisée en 2004 de Mikhaïl Khodorkovski, ces oligarques se rapprochent de Vladimir Poutine, selon la thèse exposée par Bill Browder dans « Notice Rouge » (éd. Kero, 2015). Avec des intérêts désormais divergents, il aurait perdu ses soutiens. Jusqu’à être déclaré persona non grata.

Depuis Londres, cet homme d’affaires né à Chicago, petit-fils d’un dirigeant du parti communiste américain, suit la perquisition le 4 juin 2007 de sa société à Moscou. Saisis, les cachets et les sceaux de trois filiales d’Hermitage permettent au milieu d’en prendre le contrôle, selon lui.

  • Une Franco-Russe sur la Côte d’Azur -

Browder est parvenu à sortir de Russie l’essentiel des 4,5 milliards de dollars d’actifs qu’il dit avoir eus dans son portefeuille. Mais les documents saisis « auraient ensuite été utilisés auprès du bureau des taxes à Moscou afin d’obtenir un remboursement fiscal (…) d’un trop-perçu d’impôts pour une valeur de 230 millions de dollars », empochés par les nouveaux propriétaires, explique à l’AFP une source proche de l’enquête française.

Magnitski comprend, dissèque et rend public à l’été 2008 ce détournement ourdi, selon lui, avec la complicité de policiers et de responsables du fisc. Mais c’est lui qui se voit poursuivi pour fraude fiscale. Interpellé en novembre 2008, un rapport officiel russe publié après sa mort fera état de coups et d’une privation de soins.

Bill Browder obtient fin 2012 des autorités américaines la « liste Magnitski » : les fonctionnaires liés à l’affaire sont interdits de territoire américain et leurs avoirs gelés, au grand dam de Moscou.

Browder poursuit sa croisade, traque l’argent, parti de petites banques moldaves pour poursuivre sa route vers les Iles Vierges britanniques et Belize, en passant par Chypre, la Lettonie, l’Estonie, le Luxembourg, l’Autriche, la Suisse. Et la France.

Un homme l’a aidé à démêler l’écheveau de virements et de sociétés écrans : banquier d’affaires de Moscou réfugié à Londres, Alexandre Perepilitchnyy lui fournit des documents en juillet 2010. Ils ont notamment conduit vers une mystérieuse entreprise de Saint-Tropez créée en 2006, spécialisée dans l’import-export de peinture de luxe française et italienne destinée au marché russe.

Sa patronne, une Franco-Russe de 58 ans, a été mise en examen le 29 mai pour blanchiment de fraude fiscale et d’escroqueries en bande organisée, a révélé à l’AFP une source judiciaire. Contacté, le cabinet de son avocate s’est refusé à tout commentaire.

L’analyse des comptes de sa société a fait apparaître des transferts de plus de 16 millions d’euros depuis Belize et les Iles vierges britanniques entre 2008 et 2013, selon une source policière.

  • Jogging empoisonné dans le Surrey ? -

En 2012, revenu de quelques jours à Paris, Perepilitchnyy meurt à 44 ans après un jogging près de sa villa du Surrey. La police conclut à un décès non suspect mais selon la presse britannique, une expertise demandée par sa société d’assurance vient de révéler la présence dans son organisme de gelsemium, une plante venue d’Asie.

« Nous pensons qu’il a été empoisonné à Paris », a dit Bill Browder aux juges français.

Pour un proche du dossier, la Franco-Russe mise en examen, qui affiche un « train de vie très élevé », est le maillon d’« un système complexe » de blanchiment « de fonds illicites issus de détournement de fonds publics russes » via les taxes sur les importations et des sociétés écrans dans des paradis fiscaux.

En grande organisatrice de cette machine à blanchir l’argent sale, les enquêteurs ont obtenu de leurs investigations un prénom, une certaine « Tatiana », une femme mystérieuse installée en Russie qui aurait pris la succession de son frère, assassiné par des associés.

Sollicités par l’AFP, Bill Browder tout comme ses avocats, Safya Akorri, Hervé Temime et Julia Minkowski, n’ont pas souhaité « s’exprimer sur des investigations en cours ».

AFP

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