Le dossier noir de Kohl

Dimanche 6 janvier 2002 — Dernier ajout lundi 18 janvier 2010

Le dossier noir de Kohl

Par Dupuis Jérôme, Gaetner Gilles, Lagarde Dominique, Versieux Nathalie, publié le 06/01/2000

Extraits de l’article mis en ligne sur le site du magazine l’Express :

Affaire Elf, commissions clandestines, revente de chars… Les juges reconstituent le financement occulte de la CDU, le parti de l’ex-chancelier. Lequel risque aujourd’hui des poursuites judiciaires.

Tout commence le 5 novembre. Ce jour-là, l’ex-trésorier de la CDU, Walter Leisler Kiep, recherché pour fraude fiscale, se livre à la justice. Et commence à déballer ce qu’il sait des pratiques financières de l’ancien chancelier. Après avoir d’abord tenté de tout nier en bloc, Kohl doit finalement reconnaître, le 30 novembre, l’existence de caisses noires dans son parti. Il concède avoir reçu environ 300 000 marks (1 million de francs) par an entre 1993 et 1998 afin de financer les activités de la CDU dans les Länder de l’ex-RDA, « où le parti avait le dos au mur », sans que ces sommes aient été enregistrées sur les comptes du parti, les donateurs ayant selon lui demandé à conserver l’anonymat. Les experts du cabinet Ernst & Young, qui ont mené en décembre un audit à la demande de la nouvelle direction de la CDU, estiment pour leur part à 5 millions de marks (18 millions de francs) les dons litigieux.

Mais les soupçons portent sur des sommes plus importantes. C’est là que l’on retrouve l’affaire Elf… Une affaire franco-allemande qui a conduit au versement de plus de 300 millions de francs de commissions occultes. Les justices suisse et française enquêtent déjà depuis plus de deux ans sur le mystérieux « surcoût » de la reconstruction de la raffinerie de Leuna, non loin de Leipzig, dans l’ex-Allemagne de l’Est. Le parquet de Bonn, saisi de ce dossier, s’apprête à son tour à lancer les premières investigations, qui pourraient mener au financement occulte de la CDU et même de certaines personnalités politiques allemandes. Ainsi, selon nos informations, l’ancien ministre libéral de Helmut Schmidt, Hans Friedrichs, aurait perçu 350 000 francs suisses (1,4 million de francs) de la filiale genevoise d’Elf, Elf Aquitaine International (EAI). De même, Agnes Hürland-Büning, une ex-députée CDU proche de Kohl, déjà soupçonnée d’avoir touché quelques commissions du groupe Thyssen, aurait reçu, toujours d’EAI, 256 000 francs suisses (1 million de francs). Retour sur un gigantesque scandale.

Les négociations peuvent commencer. C’est alors qu’entrent en scène une poignée d’hommes familiers des missions secrètes. Au sommet, l’inévitable Alfred Sirven, homme lige de Le Floch-Prigent, officieux n° 2 d’Elf, et son affidé, Hubert Le Blanc-Bellevaux, surnommé « 007 » tant l’homme cultive le mystère lors de ses passages éclairs à la tour Elf de la Défense. C’est ce germanophile, négociateur hors pair, qui va mettre en musique le versement des commissions occultes. Comment les justifie-t-il ? En commandant une étude bidon sur la faisabilité de la raffinerie de Leuna ou en fournissant la traduction en français de 20 volumes sur les hydrocarbures. Au bout de quelques mois, cet habillage étant réalisé, Elf débloque une manne de 256 millions de francs et Thyssen, 42 millions. Encore faut-il brouiller les pistes.

Un homme fera l’affaire : André Guelfi, dit « Dédé la Sardine », personnage pittoresque déjà croisé dans bon nombre de contrats d’Elf en Asie centrale. C’est sur le compte suisse de sa fiduciaire, Noblepac, qu’est versé le pactole. Il n’y reste que vingt-quatre heures, avant d’atterrir à la Handels Finanz Bank de Genève : 220 millions de francs sur un compte Stand-by Estate et 36 millions au nom de Show Fast. Qui se cache derrière ces structures aux dénominations malicieuses ? Le juge suisse Paul Perraudin le découvrira assez rapidement. Il s’agit de deux anciens membres des services secrets : l’un est français et s’appelle Pierre Lethier ; le second est allemand et se nomme Dieter Holzer. Ancien de Saint-Cyr, ex-chef de cabinet de deux patrons de la DGSE dans les années 80, Lethier s’est reconverti dans la négociation de grands contrats internationaux. Holzer, lui, résident monégasque, est propriétaire de Delta International, une société officiellement spécialisée dans « le négoce des huiles et des graisses animales ».

Où ont finalement atterri les 300 millions ? Interrogés par le juge Perraudin, Lethier et Holzer reconnaissent avoir eu respectivement la rétrocession de 60 millions à Vaduz, au Liechtenstein, et de 160 millions, au Luxembourg. Mais ils jurent n’avoir effectué aucun versement à des tiers. Comme ils jurent que cette somme faramineuse rémunère leur intense travail de lobbying pour le succès de l’opération « Leuna 2000 ». Pourtant, la présence d’une vieille connaissance, qui a participé à plusieurs réunions autour de cette affaire, a de quoi intriguer. Son nom ? Walter Leisler Kiep, l’ex-trésorier de la CDU qui a déclenché la tempête autour de Kohl. Il a par exemple proposé, en juillet 1992, la création d’un cabinet de courtage conjoint avec Elf, une semaine avant l’accord définitif sur le rachat de Leuna. On le trouve encore, en novembre 1993, à une réunion à Kronberg, en Hesse, qui rassemble Hubert Le Blanc-Bellevaux, Dieter Holzer et quelques hauts responsables d’Elf. Il propose cette fois-ci de dénicher un nouvel actionnaire pour la raffinerie. Chaque fois, Kiep est présenté comme un proche conseiller de Helmut Kohl. Et son nom revient sans cesse à propos de financement politique illégal en Allemagne. Cela lui avait déjà valu d’être condamné en 1991 à une amende de 675 000 marks - avant de bénéficier d’un vice de procédure. Kiep est également cité dans une vente de chars à l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, c’est l’homme qui pourrait faire tomber - judiciairement - Helmut Kohl.

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