« Les paradis fiscaux ont été impliqués dans tous les grands scandales »

Lundi 22 mai 2006 — Dernier ajout dimanche 28 août 2011

"Les paradis fiscaux ont été impliqués dans tous les grands scandales"

Ronen Palan, directeur du département des relations internationales à l’université du Sussex

LE MONDE ECONOMIE | 22.05.06 | 16h32

Avez-vous été surpris par le fait que Clearstream, accusée d’être l’une des lessiveuses de la finance mondiale, soit au Luxembourg ?

Que des fonds sales aient été recyclés au Luxembourg ne me surprend guère. Le Luxembourg conteste le label de place offshore alors que ce pays est l’un des plus importants paradis fiscaux au monde. Le Grand-Duché compte plus de banques que la Suisse et propose une gamme d’instruments financiers - trusts, comptes anonymes, etc. - permettant de dissimuler des actifs ou l’identité de leurs propriétaires.

Quel est le rôle des paradis fiscaux dans le blanchiment ?

Ils font partie de cette panoplie qui permet de « légaliser » l’argent provenant d’activités illicites. La surveillance des capitaux qui transitent par certaines de ces places offshore est très difficile. Démunis de moyens, les organismes de régulation de ces petits pays ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Voyez-vous une évolution dans le développement des paradis fiscaux ?

L’explosion du nombre de ces territoires au cours des vingt dernières années a avivé la concurrence qu’ils se livrent. Pour se démarquer, ces places cherchent à se spécialiser. Ainsi, Guernesey s’est lancé dans l’assurance, le Costa Rica dans les casinos sur le Web, les Bermudes dans le commerce en ligne. Parallèlement, sous l’effet des campagnes d’assainissement lancées par le Groupe d’action financière (GAFI) de l’OCDE et par l’Union européenne, certains centres, à l’instar des îles Anglo-Normandes ou de la Suisse, s’interrogent sur l’avenir de leurs activités offshore. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, Singapour en profite pour se développer.

Vous affirmez que les paradis fiscaux tiennent un rôle-clé dans la mondialisation ?

Les paradis fiscaux sont des entités légales créées en vertu du principe de la souveraineté des Etats. Pour les économistes libéraux, ils représentent la quintessence du libre marché. A les écouter, leur existence contraint les places financières traditionnelles à ne pas s’endormir sur leurs lauriers. Cette école de pensée affirme aussi qu’il faut différencier l’évasion fiscale - un délit - de l’optimisation fiscale, qui consiste à minimiser ses impôts, démarche légale voire encouragée dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Les paradis fiscaux jouent aussi un rôle dans la mondialisation. Ils permettent, par exemple, aux investisseurs de pays instables de se protéger des actions de leurs gouvernements. C’est pourquoi les milieux d’affaires chinois utilisent les îles Vierges britanniques pour investir en Chine. Rien d’étonnant, dans ces circonstances, que plus de la moitié des paradis fiscaux soient d’anciennes colonies ou des territoires d’outre-mer britanniques. La protection de la Couronne reste un gage de confiance aux yeux des investisseurs de nations considérées à risques.

Mais l’économie mondiale se porterait mieux en leur absence. Leur tradition de secret et l’absence de réglementation ont permis aux Enron et consorts de cacher leur situation financière. Les paradis fiscaux ont été impliqués dans tous les grands scandales financiers.

Qui profite des paradis fiscaux ?

Les multinationales. Une PME n’a pas les moyens de profiter de ce système qui joue sur la complexité pour ruser avec le fisc. La mondialisation des avantages fiscaux viole les règles du fair-play concurrentiel.

Propos recueillis par Marc Roche

CV

Depuis 2005 Ronen Palan, Britannique, dirige le département des relations internationales à l’université du Sussex.

2006 Diplômé de la London School of Economics, il est le coauteur des Paradis fiscaux (La Découverte). Parmi ses autres ouvrages figure The Offshore World (Cornell University Press, 2003).

© Le Monde

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Monde.

Visitez le site du journal Le Monde.

Revenir en haut