Nouveaux soupçons sur les ventes d’armes

Jeudi 24 mai 2007

Laurent Léger

Nouveaux soupçons sur les ventes d’armes

Le cheikh Ali ben Mussalam a obtenu une commission de plus de un milliard de francs pour son rôle d’intermédiaire lors d’une vente de frégates françaises à l’Arabie saoudite.

UNE AFFAIRE, que la justice n’a pas encore explorée, embarrasse Renaud Donnedieu de Vabres, le nouveau ministre des Affaires européennes. Déjà mis en examen pour blanchiment dans un autre dossier financier, l’ancien conseiller de François Léotard au ministère de la Défense entre 1993 et 1995 a été au cœur des négociations pour un énorme contrat de vente d’armes : il s’agit de la vente de deux frégates antiaériennes à l’Arabie saoudite, pour un montant de 19 milliards de francs, ainsi que la construction sur place d’une base navale et la formation des équipages. Baptisée Sawari 2, l’opération est une réussite de l’industrie française : 45 millions d’heures de travail garanties, soit 5 000 emplois.

Mais, sur ce fabuleux contrat, se sont greffés de curieux intermédiaires, un cheikh saoudien et ses associés libanais, aux prétentions financières exorbitantes. C’est avec eux qu’ont négocié, en direct, Edouard Balladur, alors Premier ministre, et son directeur de cabinet, Nicolas Bazire, et surtout François Léotard et son conseiller Donnedieu de Vabres. L’intermédiaire saoudien, cheikh Ali ben Mussalam, a négocié un contrat d’intermédiaire hors normes avec le patron de la Sofresa, la société représentant l’Etat et les industriels chargés de préparer la vente. La Sofresa est présidée par Jacques Douffiagues, un ami politique du ministre. Une commission de plus d’un milliard de francs est accordée au cheikh. François Léotard, qui rencontre plus de dix fois le Saoudien en quatorze mois, s’implique à fond. Donnedieu de Vabres aussi, ainsi que Balladur et Bazire : fait rare, un intermédiaire de ventes d’armes rencontre ainsi le Premier ministre en exercice. Les administrations spécialisées sont écartées des discussions. Surtout, après la signature définitive du contrat, le 19 novembre 1994, les contacts continuent. Pendant que s’organise en parallèle la préparation de l’élection présidentielle de 1995, où les balladuriens vont affronter les chiraquiens.

Un contrat rompu par le nouveau gouvernement (Chirac-Juppé)

Arrivés au pouvoir en 1995, Jacques Chirac et le gouvernement Juppé vont remettre en cause l’intermédiaire saoudien choyé par l’équipe de Léotard. Maintenant que la vente a eu lieu, que sont fabriquées les frégates, ordre est donné de faire le ménage et d’arrêter de payer le cheikh. Du jamais vu ! Un jour d’avril 1996, une scène surprenante se déroule dans le sous-sol d’une banque genevoise. Michel Mazens, le PDG de la Sofresa nommé par le successeur de Léotard à la Défense, se fait ouvrir un coffre. A l’intérieur, un document confidentiel défense. L’unique exemplaire original de l’« accord de consultant », liant la France au cheikh Ali ben Mussalam, est déchiré sur place.

Mais le Saoudien a eu le temps de toucher « des sommes faramineuses », selon un proche du dossier, avant que les Français décident de stopper les paiements. Quant aux sommes finalement non versées, elles vont aiguiser de nombreux appétits. De très hauts responsables libanais vont ainsi essayer de mettre la main dessus, en vain.

Un collaborateur de cheikh Ali, évincé du marché, sera à l’origine des premières informations sur l’affaire. « Débriefé » par les services, il révèle le circuit financier imaginé pour faire circuler les commissions. Une filière qui passe, grâce aux Libanais, par plusieurs paradis fiscaux. Patron de la Sofresa entre 1993 et 1995, Jacques Douffiagues explique que le « moteur du marché, c’était le gouvernement. Il s’agit d’un contrat classé secret-défense, sur lequel seul le ministre de la Défense peut s’exprimer ».

L’avocat de Renaud Donnedieu de Vabres dément formellement toute implication de son client. Et François Léotard n’a pas donné suite à notre coup de téléphone.

© Le Parisien , vendredi 24 mai 2002, p. 16

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Parisien.

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