OpenLux : la fin des paradis immatériels pour les footballeurs, les pop stars et les chefs étoilés

Mardi 9 février 2021

OpenLux : la fin des paradis immatériels pour les footballeurs, les pop stars et les chefs étoilés

Par Maxime Vaudano

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 08h09

Enquête Le Luxembourg a attiré, dans les années 2010, des milliers d’entreprises et de célébrités, venues profiter d’un régime fiscal très avantageux pour les revenus relevant de la création intellectuelle.

Il était une fois un chef étoilé français, une star colombienne de la pop et un footballeur international croate. Tous trois vivaient grâce à leur talent et leur célébrité. Leur nom était devenu une marque, qui générait tant de profits qu’ils avaient eu la même idée : ouvrir une société au Luxembourg pour payer moins d’impôts.

Des histoires comme les leurs, les documents d’OpenLux en regorgent. Car, dans les années 2010, le Luxembourg a été une véritable terre promise pour la propriété intellectuelle. Marques, brevets, droits à l’image, droits d’adaptation au cinéma, copyrights musicaux : en quelques années, des actifs immatériels du monde entier ont été transférés massivement dans des sociétés luxembourgeoises. Non pas pour être réellement gérés sur place, car ces sociétés étaient pour la plupart des coquilles vides. Mais parce qu’à l’instar d’autres paradis fiscaux, le Luxembourg a créé en 2008 un régime fiscal spécial et ultra-avantageux pour les revenus relevant de la « création intellectuelle » : ils sont imposés à moins de 6 %, soit deux fois moins qu’en France.

Comme Malte, Chypre, l’Irlande, ou même la Belgique, le Luxembourg a ce régime pour attirer sur son sol les entreprises qui investissent dans la recherche et innovent, et une population hautement qualifiée. Mais cette Intellectual Property Box (« boîte à brevets ») a été rapidement détournée de son usage : des milliers d’entreprises s’en sont servies pour optimiser leurs impôts, en délocalisant les profits issus de la propriété intellectuelle sans déplacer l’activité et les effectifs correspondants. Poussés par leurs conseillers fiscaux, des particuliers riches et célèbres se sont eux aussi engouffrés dans cette généreuse brèche fiscale pourtant conçue pour les entreprises.

OpenLux — Le lexique

Action ou part

C’est un titre qui matérialise la propriété d’une société. Si une société a quatre associés à parts égales, ils détiennent chacun 25 % des actions.

Action au porteur

A la différence d’une action classique, l’action au porteur est anonyme et permet aux propriétaires réels d’une société de dissimuler leur identité. Ce type de titre, qui organise une opacité totale sur l’actionnariat, est en train de disparaître. Le Luxembourg est l’un des derniers pays à en proposer.

Actionnaire ou associé

C’est une personne qui détient des parts dans une société. Il n’est pas nécessairement le salarié ou le dirigeant, mais peut prétendre à une partie des bénéfices réalisés par la société (les dividendes).

Administrateur ou gérant

Personne qui dirige une société en siégeant au conseil d’administration. Dans les sociétés offshore, cela n’implique pas de gérer l’activité de l’entreprise au quotidien (qui est parfois inexistante), mais seulement de signer quelques documents et d’assumer la responsabilité légale en cas de problème.

Bénéficiaire effectif ou propriétaire réel

Personne qui tire les véritables bénéfices d’une société, même si elle n’apparaît pas officiellement comme actionnaire, ou qu’elle est cachée derrière des prête-noms ou des montages complexes. Au Luxembourg, depuis 2019, le bénéficiaire effectif est censé être connu et inscrit au registre des bénéficiaires effectifs (RBE), mais toutes les sociétés ne le font pas apparaître (seules 52 % le référencent correctement, selon l’enquête « OpenLux »).

Cabinet fiduciaire

Il regroupe des professionnels de la finance qui offrent des services aux entreprises : enregistrement de sociétés, démarches administratives, comptabilité, fourniture de prête-noms, conseils fiscaux, etc.

Capital

Le capital d’une société permet de savoir qui la détient. Il est divisé en un nombre variable d’actions ou de parts, détenues par des actionnaires ou associés.

Déplacement de profits

Afin de payer moins d’impôts, certaines entreprises font transiter les bénéfices réalisés dans les pays où elles sont réellement actives vers d’autres Etats à la fiscalité plus avantageuse. Plusieurs techniques de comptabilité, légales à l’origine, peuvent être détournées pour faire baisser artificiellement les profits, comme les redevances de propriété intellectuelle ou les prêts entre filiales.

Dividende

A échéances régulières, une société peut distribuer une partie de ses bénéfices à ses actionnaires, en fonction de leur nombre de parts : c’est ce qu’on appelle le dividende.

Echange automatique d’informations

C’est l’un des meilleurs outils de coopération internationale pour lutter contre la fraude fiscale des particuliers. Le Luxembourg y participe, comme une centaine de pays ; il doit à ce titre transférer automatiquement à la France des informations sur les comptes bancaires ouverts par des Français au Luxembourg.

Holding

C’est une société qui n’a pas d’activité économique réelle : sa seule fonction est de prendre des participations dans d’autres sociétés et d’effectuer des opérations financières. Une holding peut regrouper tous les investissements d’un individu, les filiales d’un groupe. On peut en trouver en France, mais elles sont particulièrement répandues au Luxembourg.

Offshore (société, activité…)

Littéralement, offshore signifie « extraterritorial ». Une société offshore est enregistrée dans un pays non pas pour y exercer une activité mais pour y disposer d’une boîte à lettres – souvent pour profiter des avantages fiscaux ou réglementaires du paradis fiscal choisi.

Paradis fiscal

Pays ou territoire dans lequel certains impôts sont très bas, voire inexistants, et qui cultive une certaine opacité sur les titulaires des comptes et des sociétés. La définition varie selon l’époque et l’organisation qui établit la liste des paradis fiscaux.

Régime fiscal « mère-fille »

Une société mère est une société qui détient plus de 50 % du capital d’autres sociétés, appelées sociétés filles ou filiales. Pour éviter une double imposition, la plupart des Etats permettent à la société mère de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés pour les dividendes reçus par ses filiales. En France, la société mère doit payer une taxe forfaitaire de 5 % sur le montant des dividendes reçus de ses filiales. Au Luxembourg, la plupart du temps, c’est 0 %.

Rescrit fiscal ou « tax ruling »

Accord fiscal secret entre un pays et une entreprise, qui permet de fixer, au cas par cas, un niveau d’imposition moins élevé que le taux normal. Ce système, mis en lumière par le scandale des « LuxLeaks », a notamment permis à des multinationales de payer très peu d’impôts au Luxembourg. Depuis début 2017, les Etats européens ont l’obligation de faire preuve de transparence sur les rescrits fiscaux qu’ils accordent aux entreprises, en les communiquant aux autres pays de l’UE. Du coup, il y en a de moins en moins.

Résidence fiscale

C’est le pays où un individu paie ses impôts, qui ne correspond pas forcément à sa nationalité. En théorie, la résidence fiscale dépend de l’endroit où la personne vit le plus clair de son temps. Dans la pratique, les critères varient en fonction des pays, dont l’intérêt est d’avoir le maximum de résidents fiscaux pour récolter le plus d’impôts. La France considère par exemple comme résident fiscal toute personne qui vit, travaille en France, ou y a « le centre de ses intérêts économiques ». Au Luxembourg, un Français peut être considéré comme résident fiscal s’il y dispose d’un « foyer d’habitation permanent ». Dans le cas où il a également un foyer en France, il doit justifier avoir des « liens personnels et économiques les plus étroits (centre des intérêts vitaux) » avec le Luxembourg.

Société

Le type de société le plus connu est l’entreprise, qui exerce une activité économique. Mais les sociétés peuvent aussi être de purs outils juridiques, qui servent à détenir des actifs (immobilier, argent, placements, etc.).

Société-écran

Société qui n’exerce pas d’activité économique réelle. Généralement installée dans un pays à la fiscalité réduite, elle peut servir à détenir discrètement des comptes en banque, des participations ou des investissements, dans le but d’opacifier des transactions financières, ou de bénéficier d’avantages fiscaux. Les détours de Yannick Alléno

C’est le cas de Yannick Alléno. En 2010, le célèbre cuisinier français officie encore au palace parisien Le Meurice. Il réinvente la cuisine du terroir, sublimant le maquereau au vin blanc et l’œuf mayo. Auréolé de trois étoiles au Michelin, il a aussi commencé à prêter son nom et son carnet de recettes à des restaurants aux quatre coins du monde, de Courchevel à Marrakech, en passant par Dubaï. En contrepartie, ces adresses prestigieuses lui versent des redevances. Mais au lieu d’arriver dans sa société française, Yuzu, Lire la suite.

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