Ports francs, les coffre-forts des supers riches

Jeudi 10 juillet 2014

Des trésors dans des entrepôts

Ports francs, les coffre-forts des supers riches

Par Simon Bradley, swissinfo.ch

09. juillet 2014 - 11:00

Les personnes les plus fortunées de la planète entreposent de plus en plus d’œuvres d’art dans les ports francs helvétiques. Discrets, ces bâtiments permettent d’éviter de payer certains impôts. Un rapport dénonce les dangers qu’ils présentent.

Le bâtiment n’a l’air de rien. Hormis le passage régulier des camions de livraison, rien ne laisse présager que quelque chose se trame à l’intérieur de cet édifice gris. Et pourtant, l’entrepôt industriel de six étages, situé au sud-ouest de Genève, cache un sacré butin : une myriade d’œuvres d’art et d’autres biens précieux valant plusieurs milliards de francs suisses. Les ports francs de Genève abriteraient près de 1,2 millions d’œuvres d’art, selon la revue spécialisée Connaissances des Arts.

Dans son antenne de La Praille, on trouverait aussi la plus grande cave à vin de monde, selon ses dirigeants. Près de trois millions de bouteilles grands crus, principalement des Bordeaux, dorment paisiblement dans des caisses en bois dans les sous-sols du bâtiment, prenant lentement de l’âge et gagnant en valeur année après année.

Répartis sur deux différents sites - le second est situé à l’aéroport de Genève - les ports francs disposent d’une surface de stockage équivalente à 22 terrains de football, dont la grande majorité est déjà louée. Les musées, les collectionneurs privés et les investisseurs sont tellement friands de ces entrepôts de luxe, que les ports francs de Genève ont ouvert un nouvel espace high-tech de 10’440 m2 uniquement dédié aux œuvres d’art en mai à La Praille. Celui-ci est déjà presque complet. Les ports francs vont célébrer cette année leur 125e anniversaire.

[…] Les biens peuvent y être entreposés pour une période de temps illimitée, et ceci, à un coût minime. Un tableau peut ainsi être envoyé à Genève et rester dans un entrepôt pendant des années, sans que son propriétaire n’ait besoin de payer des impôts. L’œuvre n’est taxée qu’au moment où elle atteint sa destination finale. Et, si une sculpture est vendue au port franc, son propriétaire ne paie pas de taxe sur la transaction.

« Les biens sont évalués et taxés au moment où ils quittent nos entrepôts, explique Christine Sayegh, la Présidente des Ports Francs de Genève. Nos locataires ne tirent pas de bénéfices financiers particuliers de nos services. » Le fait que les gens y aient déposé leur fortune pour éviter de payer des impôts ne serait qu’un mythe, selon elle.

Mais, pour le canton de Genève, principal propriétaire de l’endroit, les ports francs sont d’une importance pécuniaire capitale : les entrepôts permettraient à l’Etat de gagner entre 10 et 12 millions de francs par année.

[…] un rapport publié en avril par le Contrôle fédéral des finances remet en cause l’existence des dix ports francs suisses et leurs 245 zones franches. Le rapport tire la sonnette d’alarme : ces endroits pourraient être employés de façon frauduleuse. Certaines personnes les utiliseraient ainsi à des fins d’optimisation fiscale ou pour contourner les lois sur les biens culturels, les matériels de guerres, les médicaments ou le commerce de diamants bruts.

« Les ports francs, comme le secret bancaire, peuvent porter atteinte à la réputation de la Suisse, avertit Eric-Serge Jeannet, le directeur adjoint du Contrôle Fédéral des Finances. Très clairement, on ne peut pas accuser tout le monde. Mais on ne peut pas ignorer le fait que certaines personnes utilisent ces espaces pour éviter de payer leurs impôts. » De leur côté, les représentants des ports francs affirment respecter la loi et choisir leurs clients avec précaution.

[…] Scandales continus

Pourtant, d’autres enquêtes et scandales avaient déjà mis en lumière les risques que représentent les ports francs. En 1995, Genève s’était retrouvée emmêlée au cœur d’un réseau international de vols d’antiquités liées au Musée Getty à Los Angeles. En 2003, les douaniers suisses avaient retrouvé près de 200 trésors archéologiques égyptiens, dont deux momies, dans les ports francs genevois.

Le gouvernement suisse avait alors cherché à rétablir l’ordre dans les ports francs et resserré les lois sur le blanchiment d’argent et le transfert de biens culturels. Les objets stockés dans les ports francs ont ainsi été soumis aux mêmes normes que celles des importations classiques. Le nom du propriétaire, l’origine et la valeur des produits importés doivent maintenant aussi être révélés. Depuis 2009, le droit suisse exige en outre un inventaire complet des biens transférés.

Pourtant, les scandales continuent à éclater. En 2010, un sarcophage romain a été découvert par les douanes helvétiques. Celui-ci aurait été pillé sur un site archéologique au sud de la Turquie. Lire la suite.

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