S’opposer aux intérêts privés

Lundi 30 mars 2009 — Dernier ajout dimanche 29 mars 2009

Article paru le 28 mars 2009 l’Humanité des débats. Paradis fiscaux : que faudrait-il faire ?

S’opposer aux intérêts privés Par Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques.

Les paradis fiscaux sont à l’origine de pertes fiscales très importantes pour les grands États - environ 10 % des recettes publiques en France. Ils participent à l’instabilité financière mondiale en permettant des prises de risque inconsidérées, comme l’a montré, par exemple, la chute de la banque britannique Northern Rock, incapable de renouveler un endettement important réalisé à partir de sa filiale Granite, enregistrée à Jersey. En permettant aux plus aisées et aux multinationales de payer moins d’impôts, ils sont l’un des instruments par lesquels la mondialisation accroît les inégalités.

Lutter contre ces États parasites réclame une action sur trois fronts. Il faut en établir une liste noire et sanctionner les territoires qui refusent de changer leur comportement. C’est ce que se propose de faire le G20, mais en lui ajoutant a priori une sorte de « liste grise » permettant de mettre un peu de pression sur certains centres financiers (Autriche, Belgique, Luxembourg, Suisse…) sans les désigner comme « paradis fiscaux ». Une telle approche est importante mais insuffisante. Elle a déjà été expérimentée en 2000 et n’a rien donné, il est vrai que l’arrivée au pouvoir de George W. Bush a brisé toute velléité américaine en la matière. Barack Obama devrait, à l’inverse, lui apporter son soutien.

Il faut également s’attaquer aux spécialistes du droit et du chiffre, cabinets d’audit, fiscalistes, banquiers, etc., qui inventent et offrent les produits financiers bâtisseurs d’opacité, ce qui fait leur fortune et celle des paradis fiscaux. L’OCDE a semblé vouloir agir en la matière en 2006 mais y a finalement renoncé, indiquant que le secret bancaire ou les sociétés écrans résultait d’abord de la demande des individus et des entreprises. Il faudrait pourtant, là aussi, envisager des sanctions contre ces intermédiaires privés.

Il faut, enfin, s’attaquer aux contribuables aux comportements douteux. Selon un principe simple : tous ceux qui sont en relation régulière avec des paradis fiscaux seront considérés a priori comme suspects et devront, le cas échéant, faire la preuve de leur bonne foi.

Ces trois axes sont inclus dans une proposition de loi présentée devant le Sénat et la Chambre des représentants américains il y a quelques semaines. Ce qui permet de souligner que les politiques de lutte contre les paradis fiscaux peuvent être mises en œuvre sur plusieurs niveaux politiques. En plus du G20, lieu des compromis internationaux, les politiques nationales peuvent aussi être efficaces. Elles réclament une volonté politique de fer face aux intérêts privés : comme nous avons pu le montrer dans une enquête récente (voir www.alternatives-economiques.fr), toutes les grandes entreprises françaises, financières ou industrielles, sont présentes dans les paradis fiscaux, comme c’est le cas pour leurs concurrentes. Limiter l’influence des centres offshore demande donc de forcer les multinationales de tous les pays à changer leurs pratiques quotidiennes.

Reste l’Union européenne. Le renforcement en cours de la directive épargne mise en œuvre depuis 2007 devrait permettre de mieux lutter contre le tourisme fiscal des personnes à hauts revenus. En demandant l’échange automatique d’informations entre pays, au profit des juges et des administrations fiscales, elle ouvre la voie à une véritable remise en cause du secret bancaire en Europe, la Commission ayant par ailleurs proposé une nouvelle directive à cet effet. En même temps qu’elle conserve, pour l’instant, dans ses cartons, un autre projet de loi qui permettrait de maîtriser les comportements d’optimisation fiscale des multinationales.

S’attaquer aux conduites douteuses des contribuables, des intermédiaires et des territoires, aux niveaux nationaux, européens et internationaux, telle serait la matrice idéale d’une politique efficace de lutte contre les paradis fiscaux.

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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