Ukraine : les oligarques restent aux affaires

Samedi 6 octobre 2007 — Dernier ajout dimanche 7 octobre 2007

Ukraine : les oligarques restent aux affaires

L’homme le plus riche du pays, Rinat Akhmetov, entretient des liens étroits avec les leaders de tous bords.

Par despic-popovic

QUOTIDIEN : samedi 6 octobre 2007

Kiev envoyée spéciale

L’Ukraine vote, trois fois en trois ans mais les oligarques restent. Les richissimes hommes d’affaires - appelés dans le monde postsoviétique « oligarques » en raison de leurs relations étroites avec le pouvoir politique - n’ont pas été balayés avec la révolution orange de 2004. A l’époque, on disait en plaisantant dans les milieux économiques que la révolution orange était « la révolution des millionnaires contre les milliardaires ». Il s’avère que les premiers et les seconds ont non seulement survécu mais aussi prospéré.

Selon l’hebdomadaire polonais Wprost, qui publie chaque année l’annuaire des cent plus grosses fortunes d’Europe orientale (Russie comprise), le premier Ukrainien arrive en quatrième position derrière trois Russes. Il s’agit de Rinat Akhmetov, l’industriel de Donetsk, la région dont le chef du gouvernement sortant, le prorusse Viktor Ianoukovitch et grand perdant des élections de dimanche a longtemps été gouverneur. Elu député du Parti des régions en 2006, Akhmetov en est son grand argentier. Sa fortune, évaluée à 7,2 milliards de dollars (environ 5 milliards d’euros) en 2006, s’élevait à 18,7 milliards en 2007. Rebondir. L’homme dont le holding, leader de la métallurgie, génère 10 % du PIB ukrainien fait aujourd’hui la pluie et le beau temps. Il a démontré sa faculté à rebondir. En 2004, il faisait figure de perdant. La révolution orange lui avait coûté l’aciérie de Krivorijstal, acquise pour 800 000 dollars avec le gendre de l’ancien président et reprivatisée à titre d’exemple par les nouveaux élus pour 5 millions de dollars. Réfugié dans un premier temps en Russie, il est rentré dès que les leaders orange se sont montrés plus conciliants avec les milieux d’affaires. A la tête d’une fondation qui fait du mécénat, Akhmetov - qui, tradition oblige, a aussi son club de football - aime désormais faire figure de personnalité réconciliatrice.

Selon le politologue Volodymir Fessenko, c’est lui qui « pousse à la formation d’une grande coalition », une formule finalement proposée cette semaine par Viktor Iouchtchenko, le président leader du camp pro-occidental. Car la situation actuelle, où aucun camp politique n’a l’avantage, convient fort bien aux oligarques. « Ils ont peur d’un scénario à la Poutine qui écarterait certains oligarques et en soutiendrait d’autres », affirme l’analyste Vadim Karasev. Pour faire obstacle à un tel schéma, plusieurs grands groupes industriels et financiers ont commencé à soutenir Iouchtchenko tout en continuant à aider son rival. C’est le cas de Rinat Akhmetov, assure le politologue, qui souligne que l’homme d’affaire rêve de faire de l’Ukraine « un pays moderne ». A l’étroit sur le marché national, et sans perspectives sur le marché russe, le holding d’Akhmetov se prépare, comme plusieurs autres groupes ukrainiens, à sortir sur la Bourse de Londres. Pour être mieux coté et paraître légitime à l’étranger, « il a besoin de Iouchtchenko, pas de Ianoukovitch », explique l’analyste Kost Bondarenko. Fléau. Contrairement aux engagements qu’il avait pris à l’automne 2004 de séparer le business de la politique, le président Iouchtchenko a nommé dès son élection des hommes d’affaires proches à des postes clés. Le premier gouvernement orange dirigé par Ioulia Timochenko, à laquelle s’est ralliée la deuxième fortune d’Ukraine, le PDG du groupe Privat, Igor Kolomoiski, est mort miné par leurs conflits d’intérêts. « La plus grande déception fut de voir qu’ils faisaient leurs affaires de la même manière que leurs prédécesseurs », souligne aujourd’hui la sociologue Svitlana Konontchouk.

De nouvelles fortunes sont nées. Sorti de nulle part, Dmitri Firtash est arrivé au sommet cette année (5 e rang des fortunes nationales) en obtenant le monopole du commerce du gaz russe, l’élément qui a fait la fortune des oligarques dans les années 90. Ami du frère du Président, on le dit proche du parti de Ianoukovitch et du ministre sortant de l’Economie. L’octroi de ce monopole « n’a pas pu se ­faire sans un schéma de corruption », affirme un bon connaisseur des affaires ukrainiennes. La corruption est un fléau omniprésent. « 100 % des personnes interrogées lors d’une enquête d’opinion ont répondu qu’ils avaient eux-mêmes au moins une fois soit donné soit reçu un pot-de-vin », révèle l’expert.

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