Denis Robert : « Le football est devenu une formidable machine à blanchir de l’argent »

Mercredi 14 juin 2006 — Dernier ajout dimanche 3 juin 2007

INTERVIEW

Denis Robert : « Le football est devenu une formidable machine à blanchir de l’argent »

Propos recueillis par Philippe Crouzillacq , 01men., le 14/06/2006 à 15h34

On connaissait Denis Robert pour ses livres sur les mœurs troubles de la classe politique, ses romans et ses enquêtes sur la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream. On ne l’attendait pas forcément sur le ballon rond.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Denis Robert : Au-delà des livres d’enquête, je suis avant tout écrivain. S’agissant du foot et de la finance, ce qui m’a intéressé c’est qu’il existe aujourd’hui un lien direct entre ces deux mondes. Dans l’un comme dans l’autre, on se retrouve avec des gens qui se croient au-dessus des lois et qui nous font la morale. On nous sert une culture du winner et du look (Beckham, Cissé) où la forme l’emporte sur le fond, c’est-à-dire sur les vraies valeurs du football.

Dans leurs commentaires d’après match, certains joueurs sont devenus des répétiteurs de conneries. C’est le règne du capitalisme triomphant, de l’individualisme, et un monde où la meilleure façon de réussir c’est encore d’écraser les autres. Et ce discours véhiculé par les dirigeants de club, les entraîneurs et journalistes est devenu véritablement insupportable.

Quelles sont selon vous les vraies valeurs du football ?

Dans mon esprit, le football c’est un sport qui est fait pour cimenter la solidarité, pour s’ouvrir au monde. Or, avec l’avènement du foot business, c’est tout le contraire qui risque d’arriver. Prenez le projet du G14 [organisation rassemblant les plus grands clubs européens, NDLR] de créer un championnat européen fermé avec des clubs qui ne descendent plus (à l’image des franchises de basket ou de football américain aux Etats-Unis), on ne peut pas adhérer à un truc pareil ! C’est de la merde cathodique. Et les gens n’en veulent pas.

Vous opposez dans votre livre deux visions du football, celle des « footeux de base » et celle du « foot business » où l’argent coule à flot. Quels sont les dangers qui menacent le football d’aujourd’hui ?

Ils sont multiples. Les financiers sont dans la place. Or ces gens-là veulent des résultats, ce qui débouche sur des dérives telles que le dopage (cf le procès de la Juventus de Turin période Zidane et Deschamps). Un autre volet réside dans les matchs arrangés liés à des paris truqués. En Belgique par exemple, c’est un bookmaker chinois, aujourd’hui en fuite, qui aurait acheté des joueurs pour qu’ils « lèvent le pied ». Et en Italie, toujours avec la Juventus, nous sommes à l’aube d’un très grand scandale en la matière.

Mais les matchs truqués, ce n’est pas nouveau ! Il n’y a qu’à se souvenir de l’affaire du Totocalcio il y a quelques années en Italie, qui avait éclaboussé des joueurs comme Paolo Rossi…

Oui. Mais en ce qui concerne les paris truqués, le phénomène est sans commune mesure avec ce qui se passait il y a quelques années. Et dans ce domaine, Internet et l’arrivée des sites de paris en ligne ont véritablement joué un rôle d’accélérateur. Vous avez maintenant des dirigeants de club comme Roman Abramovitch, le milliardaire russe propriétaire de Chelsea, qui possède en sous-main un club comme le Corinthians au Brésil, mais aussi une équipe en Chine sans parler du CSKA Moscou. A partir de là, on peut transférer les joueurs d’une équipe à l’autre. C’est le genre de combinaison qui offre plein de possibilités.

A ce propos justement, vous dénoncez la pratique des transferts à répétition qui ruinent la carrière de certains joueurs et la présence de multiples intermédiaires qui touchent autant de rétrocommissions. Où en est-on aujourd’hui ? Et quels seraient les remèdes à ces dérives ?

Le football est devenu une formidable machine à blanchir de l’argent où les contrôles pratiqués sont le plus souvent inopérants. Heureusement, il arrive que la justice passe, c’est ce que nous a montré le tout récent procès de l’OM. Mais la plupart du temps, on se retrouve avec des joueurs qui sont vendus pour des sommes totalement disproportionnées (Drogba à Chelsea pour 35 millions d’euros, Essien à Chelsea pour 38 millions d’euros, Cissé à Liverpool pour 21 millions d’euros…), avec plein d’intermédiaires peu recommandables qui se servent au passage.

Si l’on parle des remèdes, je ne veux pas jouer les donneurs de leçons, mais il serait peut-être plus sain de revenir à un seul Mercato [la période de transferts des joueurs, NDLR] à la fin de la saison au lieu de deux comme actuellement. Par ailleurs, si un président de club détecte une anomalie dans le transfert d’un joueur, il devrait alerter automatiquement le Parquet.

Ces comportements posent la question de la présence des mafias dans le football, d’où le titre de votre livre Le Milieu du terrain…

Il faut bien comprendre que la mafia, ce n’est plus seulement ce que c’était il y a dix ou quinze ans. Bien sûr, il y a toujours des personnages au profil criminel qui évoluent dans l’entourage de certains clubs. Comme cela a pu être le cas à l’OM, par exemple. Mais il y a maintenant, et peut-être surtout, une mafia de comptes en banque. L’argent du crime est une part essentielle du capitalisme et cet argent est aujourd’hui pour partie réinvesti dans le football.

Quels sont les prochains scandales du football ?

Celui qui vient d’éclater à la Juventus de Turin est très prometteur. Les affaires vont continuer de sortir. En France, au moins une dizaine d’instructions sont en cours. Des perquisitions ont été menées il y a quelques mois dans une affaire visant deux agents de joueurs, Bettoni et Stojic, sur des clubs de Ligue 1 (comme Marseille, Lille, Auxerre ou Sochaux). Cela devrait bientôt sortir. Quant à l’OM, la justice enquête sur la période où Christophe Bouchet était président du club.

Avec ce livre n’avez-vous pas peur de casser l’image d’un sport qui fait rêver des centaines de millions de personnes ?

Mais cette image est déjà cassée ! Au contraire, mon livre est un cri d’amour, un cri d’alarme. Je suis supporter de foot depuis toujours et je ne veux pas que les « costumes rayés » comme je les appelle me cassent mon jouet. Car au rythme où vont les choses, on court à la catastrophe. Comme je l’écris dans mon livre, aujourd’hui le crédit du football c’est son passé. Or, on est en train de nous voler ce passé et ses valeurs pour nous vendre un présent qui n’est pas très reluisant.

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Pour plus de précision visitez le blog de Denis Robert : la domination du monde.

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