Van Ruymbeke, le « dernier des juges »

Jeudi 25 octobre 2007

Jeudi 25 Octobre 2007

Van Ruymbeke, le « dernier des juges »

Par Michel DELEAN

Le Journal du Dimanche

illutration : Renaud Van Ruymbeke a déjà été auditionné par l’inspection général des services juridiques de la Chancellerie. (Maxppp)

Il est en quelque sorte le dernier des juges. Ses collègues en notoriété, les Eva Joly, Philippe Courroye ou Eric Halphen ont changé de fonctions. Renaud Van Ruymbeke, lui, est resté juge d’instruction. Il joue peut-être son avenir professionnel, jeudi, devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). A 55 ans, dont trente dans la magistrature, Van Ruymbeke va comparaître devant ses pairs à la demande du ministère de la Justice, pour s’être laissé piéger dans une vilaine affaire de « corbeau ».

Retour en 2004. Chargé d’enquêter sur les énormes commissions versées lors de la vente de frégates par la France à Taïwan, Renaud Van Ruymbeke est contacté en grand secret par Jean-Louis Gergorin, alors haut dirigeant d’EADS, qui dit craindre pour sa vie. Il fait parvenir au juge plusieurs documents et listings pouvant aider à retrouver les commissions occultes, qui font état de comptes cachés au sein de la chambre de compensation internationale Clearstream, et dont certains semblent appartenir à des personnalités politiques. Au terme d’une enquête discrète, Van Ruymbeke découvre que les comptes sont faux, et abandonne cette piste. Mais ses collègues Jean-Marie d’Huy et Henri Pons vont être chargés d’instruire les plaintes pour « dénonciation calomnieuse » de plusieurs personnalités citées sur les listings, dont Nicolas Sarkozy. L’affaire du "corbeau des frégates" devient celle des faux listings Clearstream.

Le ministère de la Justice fait aujourd’hui trois reproches à Renaud Van Ruymbeke : il a entendu Gergorin hors procès-verbal, a ensuite tardé à informer ses collègues de l’identité du « corbeau » et a communiqué des éléments de son dossier à un auditeur financier pour avis. En termes disciplinaires, le juge devra répondre de « manquement aux obligations de prudence et de rigueur », d’attitude « contrevenant à son obligation de loyauté » et d’avoir « failli à son obligation de discrétion professionnelle ».

Réagissant à son renvoi devant l’instance disciplinaire _dans le JDD du 4 février_ Renaud Van Ruymbeke s’était dit victime d’un « lynchage » et d’une décision « politique » prise par Pascal Clément, ancien garde des Sceaux, pour faire plaisir à Nicolas Sarkozy. Le juge expliquait n’avoir fait que son travail. « De nombreux services de l’Etat disposaient d’informations privilégiées sur les comptes qui m’étaient transmis. Si les services m’en avaient avisé, il n’y aurait jamais eu d‘affaire Clearstream. C’est là que se situe le vrai dysfonctionnement », assénait-il.

Au-delà du cas Van Ruymbeke, le malaise est perceptible dans toute l’institution judiciaire

En mai 2006, un rapport du premier président de la cour d‘appel de Paris, magistrat indépendant, a blanchi Renaud Van Ruymbeke. La Chancellerie a toutefois insisté pour le renvoyer devant le Conseil supérieur de la magistrature. Depuis lors, le rapporteur du CSM, Jean-François Weber, a rendu un rapport très mesuré, le 9 juillet dernier. Reste que le Conseil a le pouvoir de prononcer une sanction, qui va du simple blâme à la révocation. Renaud Van Ruymbeke, défendu par Mes Jean-Denis Bredin et Philippe Lemaire, espère être lavé de tout reproche.

Juge emblématique de la lutte contre la corruption internationale, signataire de l’Appel de Genève en 1996, Renaud Van Ruymbeke a mené à bien nombre de dossiers complexes, de l’affaire Robert Boulin au financement occulte du PS en passant par le dépecage d’Air Lib ou les transferts suspects du PSG. Il bénéficie du soutien de nombreux magistrats mais aussi d’avocats qui soulignent son humanité et sa répugnance à recourir à la détention provisoire.

Au-delà du cas de Renaud Van Ruymbeke, c’est un malaise plus général au sein de l’institution judiciaire qui est aujourd’hui perceptible. Les magistrats se sentent en effet mal aimés, de plus en plus caporalisés. Vendredi après-midi, des sifflets ont même accueilli la ministre Rachida Dati au congrès de l’USM, le principal syndicat de magistrats pourtant très peu porté sur la contestation.

2007 © Le Journal du Dimanche

Publié avec l’aimable autorisation du Journal du Dimanche.

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