Le procès des commissions gloutonnes

Lundi 8 octobre 2007 — Dernier ajout lundi 26 novembre 2007

Le procès des commissions gloutonnes

L’affaire Sofremi, micmac de flux offshore autour de la galaxie Pasqua, atterrit au tribunal.

RENAUD LECADRE

QUOTIDIEN : lundi 8 octobre 2007

On croyait avoir tout vu, l’affaire Elf, le financement occulte des principaux partis politiques. Mais voilà que le tribunal correctionnel va juger à partir d’aujourd’hui le plus consternant dossier politico-financier de la fin du siècle dernier : l’affaire Sofremi (Société française d’exportation du ministère de l’Intérieur). Un nouveau micmac de commissions occultes versées en marge des grands contrats internationaux, parfois suivies de rétro-commissions versées à des décideurs français, dans la plus parfaite opacité. Du grand classique, à ceci près que tout était centralisé Place Beauvau.

L’ancien président de la Sofremi a résumé avec lassitude cette vaste foire aux capitaux off-shore : « Je ne trouvais pas normal que le ministre de l’Intérieur me demande de piller la trésorerie, mais je n’ai pas voulu m’y opposer. »

Audit. La Sofremi a été créée en 1986 pour aider les industriels français à obtenir des contrats auprès des polices étrangères. Son capital est réparti entre l’Etat et les principaux fabricants, mais c’est le ministère de l’Intérieur qui en nomme les dirigeants et en assure la tutelle directe. La Sofremi a toujours senti le souffre, son domaine d’activité étant pollué par des intermédiaires en tous genres. Chaque nouveau ministre de l’Intérieur a pour premier réflexe de commander un audit sur la gestion de la Sofremi par son prédécesseur.

Au cours de l’enquête, Charles Pasqua a raconté que, dès sa nomination en 1993, on lui avait fait part de rumeurs de financement du PS… Après multiples audits, c’est pourtant la seule période Pasqua qui est visée, caractérisée par une explosion des commissions (170 millions de francs), dépassant 15 % du montant des marchés visés (avec une pointe à 24 % en Colombie). La Sofremi ne se donne même plus la peine de préserver les apparences : une commission est versée à l’occasion d’un marché brésilien alors qu’elle n’était même pas candidate… Dans cette gloutonnerie ambiante, la Sofremi va jusqu’à emprunter - en Suisse ! - afin de rémunérer un intermédiaire impatient, l’usage étant de verser la commission à la signature du contrat (success fee).

Le procès va se concentrer sur trois contrats (Argentine, Colombie et Koweït). Les principaux bénéficiaires de commissions sont Pierre Falcone (réfugié à l’étranger grâce à un passeport diplomatique angolais, il vient de négocier son retour en France sans passer par la case prison) et Etienne Leandri (décédé en 1995, son ombre plane encore sur de nombreuses affaires). Le premier a la bosse du négoce : sitôt le bac en poche, il se lance dans la vente d’escargots, de pulpe de fruits au Brésil.

Déjà poursuivi dans l’Angolagate (procès prévu fin 2008), Falcone a encaissé 15 millions de francs de la Sofremi. Le second, condamné à la Libération pour intelligence avec l’ennemi, réhabilité grâce à la CIA au nom de la lutte anticommuniste, est un compagnon de route de Charles Pasqua. Collectionneur de commissions en Suisse, Léandri a encaissé 21 millions de francs de la Sofremi.

Ils en ont ensuite fait bénéficier des figures de la galaxie pasquaienne : Jean-Charles Marchiani (un million), Jean-Jacques Guillet (11 millions) et Pierre-Philippe Pasqua (10 millions). Le terme rétro-commission n’est pas évident à employer, faute de traçabilité financière directe : le fils Pasqua a ainsi encaissé des fonds de Leandri, qui les avait obtenus de Falcone, qui lui-même les avait obtenu de la Sofremi.

« Pillage ». L’accusation devra démontrer que l’argent versé par Leandri à Pasqua junior (tous deux étant par ailleurs en affaires en Corée), provient directement de la Sofremi. Jean-Jacques Guillet, pilier de l’UMP dans les Hauts-de-Seine, a ainsi bénéficié d’un non-lieu : Léandri, lui, a bien reversé 11 millions en vue de renflouer le Quotidien du maire qu’il éditait, mais Jean-Jacques Guillet ignorait que l’argent venait d’un « pillage » de la Sofremi… Quand à Marchiani, il prétend une fois de plus que ses comptes offshore n’avaient d’autres objet que de servir la France : « La DGSE n’ayant pas fait son travail, j’ai été obligé d’avoir recours à un financement privé. »

Tout tourne évidemment autour de Charles Pasqua, de ce que « lui ou son entourage allait demander de financer », selon l’ex-président de la Sofremi. Son cas a été disjoint devant la Cour de justice de la République (CJR). Pataquès garanti, comme en a témoigné le procès Alstom (ou l’on retrouve une même histoire de commission avec Leandri, Pasqua père et fils).

A l’audience, l’accusation cite des extraits de ses dépositions devant la CJR, puis tempère aussitôt : « Il n’est pas question de discuter la responsabilité de Charles Pasqua, mais il a un rôle de fait. » Répit. Un avocat dit « ne pas comprendre » pourquoi le juge d’instruction Philippe Courroye s’est dessaisi du cas Pasqua au profit de la CJR : à deux reprises (statuant à propos de Roland Dumas et Jacques Toubon), la Cour de cassation a affirmé qu’un ministre relève de la justice ordinaire quand il a agi hors du cadre strict de ses prérogatives. Et la valse des commissions ne semble pas faire partie des attributions d’un ministre de l’Intérieur. La saisine de la CJR a surtout offert un répit à Charles Pasqua, qui a pu se faire élire au Sénat après avoir transmis à Nicolas Sarkozy la présidence du Conseil général des Hauts-de-Seine. Des juristes chagrins soulignent que l’attitude de Courroye colle parfaitement aux nécessités de Sarkozy, qu’il tutoie.

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