Argent sale : les trafiquants changent de méthode

Mercredi 21 novembre 2007 — Dernier ajout mardi 20 novembre 2007

Argent sale : les trafiquants changent de méthode

Mathieu Delahousse

19/11/2007 | Mise à jour : 10:10 |

Devant l’augmentation des contrôles, les criminels abandonnent les virements bancaires et privilégient les transferts en liquide.

Une banale paire de chaussures est au cœur du procès d’un réseau de blanchiment d’argent de la co­caïne qui s’ouvre aujourd’hui à Bobigny. Elles étaient aux pieds d’un banquier espagnol qui était sur le point d’embarquer à Roissy vers l’Amérique du Sud quand les douaniers l’ont interpellé et fouil­lé, en 2003. Ses semelles ­dissimulaient plus de 800 billets de banque serrés sur 4 centimètres d’épaisseur. Un total de 439.000 euros retirés de comptes ouverts en France.

Une affaire similaire, où cinq banques sont désignées comme com­plices présumées des cartels, est aux mains d’un magistrat bordelais. Mais ces deux dossiers sont les seuls de cette sorte en France. « Ce sont les premiers et les derniers procès du genre », pronostique un spécialiste du milieu bancaire. Les deux coups de filets ont déjà amené les gros bonnets à s’adapter. « Les blanchisseurs sont déjà passés à autre chose , affirme Christophe Perez-Baquey, le chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). Au­jourd’hui, pour des trafiquants de drogue, mettre l’argent directement sur un compte est suicidaire. Le milieu bancaire est devenu trop difficile à pénétrer. »

La vigilance des banques est en effet un principe depuis 1990. Tracfin, la cellule antiblanchiment du ministère de l’Économie, a reçu près de 10 000 déclarations de soupçons l’an dernier. La mise en cause directe de professionnels a renforcé les contrôles internes. Il est d’autre part plus efficace de surveiller les retraits plutôt que l’origine suspecte des fonds lors des dépôts. « La surveil­lance nationale et internationale des flux bancaires a tellement évolué que la tentation peut être en effet d’opérer des retraits massifs de liquide », ob­serve François Werner, le directeur de Tracfin.

Une fois les liasses retirées, les cartels tentent de les intégrer dans l’économie légale par le biais d’une banque étrangère aux contrôles moins stricts.

La multiplication des « Schtroumpf »

Ce stratagème impose de revenir aux caches de billets au détriment du discret virement. « C’est le retour aux bonnes vieilles méthodes traditionnelles », commente un en­quêteur. Les douanes françaises ont ainsi saisi l’an dernier 132 millions d’euros en numéraire. Philippe De­lasalle, à la Direction du renseignement douanier, raconte qu’« on voit parfois de très fortes sommes en petites coupures… Dans le cas des stupéfiants, cela correspond de façon très concrète au chiffre d’affaires du trafic. L’essentiel de l’argent de la drogue est là. Pour le dissimuler, il est rare que cela soit aussi perfectionné que pour cacher les stupéfiants ou les cigarettes. On trouve les billets dans les bagages. Quelque fois simplement dans le sac de sport du suspect. »

Une tactique très répandue : le « schtroumpfage ». La multiplication de petits transferts par autant d’intermédiaires – surnommés les « Schtroumpfs », à l’instar des petits bonshommes bleus de la bande dessinée – met les cartels à l’abri de la justice. « Engager des investigations sur un éventuel blanchiment peut se faire facilement , explique un magistrat spécialisé. Mais la qualification pénale est plus difficile à établir : comment prouver que l’argent provient bien d’un trafic de stupéfiant ? »

Dans bien des cas, les blanchisseurs présumés tombent pour un autre délit.

Dernier exemple en date : ce réseau démantelé l’année dernière par l’OCRGDF et qui avait réussi à transférer 400 millions d’eu­ros de la France vers le Mali. Dans ce cas-là aussi, ce sont des billets de 500 eu­ros qui ont fait naître les soupçons. La Banque de France, intriguée par des particuliers voulant changer des petites coupures contre des grosses a donné l’alerte. Les trafiquants ont été interpellés non pour blanchiment mais pour « exercice illégal de la profession de banquier ». La preuve que des banques parallèles ont déjà remplacé les établissements trop surveillés.

© Le Figaro

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