A Morila, l’argent ne sort pas de la mine d’or

Samedi 5 janvier 2008

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A Morila, l’argent ne sort pas de la mine d’or

Envoyé spécial à Morila (Mali) Célian Macé

QUOTIDIEN : samedi 5 janvier 2008

Le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique et pourtant l’un des pays les plus pauvres au monde (classé 173e sur 177 en termes de développement humain par l’ONU). A Morila, village isolé du sud du pays, le paradoxe est criant : les 250 habitants côtoient la mine la plus rentable du Mali. Du site ultrasécurisé de l’exploitation, on n’aperçoit que le gigantesque bassin, dans lequel est rejeté le cyanure utilisé pour traiter le métal, et les montagnes de terre dégagées pour creuser les puits. Le cratère, d’un kilomètre de long sur 820 mètres de large, atteindrait plus de 200 mètres de profondeur.

Morila SA - dont les dirigeants ont refusé de répondre à nos questions - est détenue par deux géants miniers (40 % pour Randgold Ressource, 40 % pour Anglogold Ashanti) et par l’Etat malien (20 %). Son cas est emblématique de la ruée vers l’or qu’a connu le pays dans les années 90. Pressé par les institutions financières internationales de valoriser ses ressources aurifères, le gouvernement s’est employé avec le code minier de 1991 à attirer les investisseurs étrangers, vantant les salaires miniers plus faibles que dans les autres pays africains (230 à 300 euros, trois à quatre fois la moyenne nationale) et les exonérations de taxes sur les cinq premières années d’exploitation. L’or malien a par ailleurs une teneur exceptionnelle et il se ramasse à ciel ouvert, au moindre coût (mais aux dégâts écologiques certains).

Espoir. En 2005, Morila était la mine la plus compétitive du continent. Le métal jaune a même détrôné le coton comme première source de revenus du pays. La hausse vertigineuse des cours de l’or depuis dix ans a renforcé l’espoir d’une manne pouvant sortir le pays de la pauvreté. En réalité, l’exploitation aurifère a peu d’effet d’entraînement sur l’économie malienne. Le secteur n’emploie que 12 000 travailleurs - la culture du coton, elle, fait vivre 3,3 millions de personnes. Le raffinage se fait en Suisse ou en Afrique du Sud. Les exonérations fiscales, en plus d’avoir privé l’Etat des recettes attendues, ont eu un effet pervers, les compagnies minières privilégiant du coup une extraction intensive pendant les premières années d’exploitation.

Alors que les prévisions étaient fixées à 11 tonnes d’or par an, Morila SA a extrait 80 tonnes entre 2001 et 2003. Les ouvriers de la Somadex, filiale du groupe Bouygues à qui est sous-traitée l’activité d’excavation, avaient réclamé en 2005 une prime de rendement, prévue dans la convention collective, pour ce dépassement des prévisions. Et mené une grève de soixante-douze heures. Trois cents d’entre eux ont été licenciés pour avoir refusé de reprendre le travail. La justice malienne leur a depuis donné raison.

Maigre bilan. Alors que l’or de la mine commence à s’épuiser - les mineurs évoquent une fermeture à l’horizon 2010 - le bilan local est maigre. Dans le village de Morila, la quasi-totalité de ceux qui avaient été employés pour la construction du site ont été licenciés, jugés non-qualifiés. La nuit, les cases sont toujours éclairées au pétrole et la piste de terre ocre qui relie le village est restée cabossée. Trois fois par semaine, les explosifs utilisés à la mine font trembler le sol, la poussière pénétrant jusque dans les cases. Trois pompes, une école et une maternité sont toutefois siglées Morila SA.

Les villages voisins ont eux reçu une mosquée, suivant leur propre vœu. A Sanso, la ville des mineurs, en sus d’une clinique récente, le fonds de développement de Morila SA déclare avoir versé 30 000 dollars annuels (20 300 euros) à la gendarmerie en salaires et équipements. Au niveau national, un responsable de la direction générale des mines et de la géologie, Lassana Guindo, affirme qu’en 2006 les compagnies minières ont injecté 115 millions d’euros dans l’économie malienne, contribuant ainsi à 11 % du PIB. Mais il avoue que son service peine à contrôler les chiffres communiqués par les multinationales. Sans même évoquer les pots-de-vin, monnaie courante, l’Etat manque de moyens pour faire respecter les normes sociales et environnementales. Régulièrement critiqué, le gouvernement promet qu’il planche sur un nouveau code minier.

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