La chute d’un parrain rapproche Kiev et Moscou

Jeudi 31 janvier 2008 — Dernier ajout samedi 18 avril 2009

La chute d’un parrain rapproche Kiev et Moscou

Laure Marchand

30/01/2008 | Mise à jour : 22:42 |

L’inculpation soudaine d’un sulfureux homme d’affaires pourrait cacher une convergence d’intérêts entre le premier ministre ukrainien et le candidat à la présidentielle du Kremlin.

Et si l’arrestation soudaine du sulfureux « homme d’affaires » d’origine ukrainienne Semion Moguilevitch, mercredi 23 janvier, à Moscou, à la sortie d’un restaurant, annonçait un rapprochement tactique entre la belle Ioulia Timochenko, qui dirige un gouvernement pro-occidental à Kiev, et le clan du candidat à la présidentielle russe, Dimitri Medvedev ?

Moguilevitch, caïd présumé dont l’extradition est réclamée à cor et à cri par le FBI, a été cueilli par une cinquantaine d’hommes d’une division spéciale du ministère de l’Intérieur russe, avant d’être inculpé, hier, pour « évasion fiscale » en même temps que le patron d’un groupe de distribution de parfums, avec lequel il venait de prendre le thé. Depuis, le Tout-Moscou s’interroge sur les raisons qui ont poussé le pouvoir russe à s’en prendre brusquement à ce parrain supposé, au plus fort de la campagne destinée à tailler au poulain de Vladimir Poutine un habit de présidentiable.

La version selon laquelle l’opération viserait à asseoir la suprématie du clan Medvedev sur la nébuleuse du géant gazier Gazprom domine chez les experts, qui lisent l’affaire comme un coup majeur porté aux intérêts cachés du clan des siloviki, les hommes des services spéciaux.

Actionnaire officieux

Mais la réaction enthousiaste que Ioulia Timochenko a manifestée depuis Bruxelles, où elle était en voyage, à l’annonce de l’arrestation de Moguilevitch apporte un éclairage « géopolitique » fort intéressant à l’affaire, souligne-t-on dans les milieux diplomatiques occidentaux. Semion Moguilevitch est en effet soupçonné d’être l’actionnaire officieux de la très controversée compagnie Rosukrenergo, qui sert d’intermédiaire officiel entre Gazprom et Kiev dans l’importation du gaz russe vers l’Ukraine.

Lors de son premier passage à la tête du gouvernement ukrainien, en 2005, juste après la « révolution orange », Ioulia Timochenko avait tenté de s’attaquer à ce nid de corruption responsable, selon elle, de vastes détournements. Elle avait chargé le chef des services spéciaux, Oleksandr Tourtchinov, d’une enquête sur les liens supposés existant entre l’homme d’affaires Dmytro Firtasz, patron officiel de Rosukrenergo, et Moguilevitch. Il était apparu que Firtasz avait été le patron d’une précédente société douteuse, Eurotransgaz, opérant sur le même secteur. Et que les statuts de cette précédente compagnie avaient été déposés par l’avocat de Moguilevitch, Zev Gordon… Avec le brutal limogeage de Ioulia Timochenko, l’enquête n’avait pu être menée à son terme.

Avec le retour de la dame à la tresse, Rosukrenergo est à nouveau dans le collimateur. Timochenko l’a confirmé avec fracas à Bruxelles, plaidant pour une « relation directe » avec Gazprom. Cette approche conforte la stratégie élaborée de longue date par le candidat présidentiel Medvedev, qui affirme vouloir éliminer les intermédiaires véreux. « Nous n’avons pas besoin d’intermédiaires de ce genre, leur présence est le signe de schémas de corruption », a dit Timochenko, précisant qu’elle se rendrait à Moscou le 21 février pour établir une « coopération harmonieuse avec son plus grand voisin », notamment sur le transit du gaz, dont elle veut augmenter les tarifs.

Coup de frein face à l’Otan

Curieusement, ces déclarations ont coïncidé avec une grande prudence de l’ancienne pasionaria orange sur le dossier de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Elle plaide pour une approche « graduelle » et un « référendum ». Au risque d’affaiblir la position du président Iouchtchenko, qui vient d’envoyer à l’Alliance une demande de candidature de l’Ukraine au Membership Action Plan (MAP) de l’Otan, Ioulia s’est même inquiétée de ce que le Parlement ukrainien n’ait pas été consulté préalablement par la présidence. La tension est vive à Kiev, où l’opposition communiste et le parti des régions bloquent les travaux de la Rada en signe de protestation. L’Otan devrait donner sa réponse en avril, à Bucarest.

Le freinage évident de Timochenko sert objectivement les intérêts du Kremlin, qui menace de revoir drastiquement ses relations avec l’Ukraine en cas d’adhésion au MAP. « À tel point qu’on peut se demander si une convergence d’intérêts n’est pas en train de se dessiner entre Timochenko et le Kremlin sur le dos d’Iouchtchenko, elle cédant du terrain sur l’Otan et les Russes sur le gaz et Rosukrenergo », note une source occidentale.

L’hypothèse est d’autant plus plausible que Ioulia Timochenko est à nouveau en froid avec le président Iouchtchenko, qui, depuis la nomination de son ancienne partenaire à la tête du gouvernement, tente de bloquer ses initiatives de réforme. Ainsi le président est-il, notamment, un fervent défenseur du maintien de la compagnie Rosukrenergo, dont son frère serait bénéficiaire, selon une insistante rumeur relayée par les communistes. Autant de dissonances dont pourrait jouer la Russie.

© Le Figaro

Publié avec l’aimable autorisation du journal Le Figaro.

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