Difficile d’atteindre les paradis… ils sont devenus indispensables à la finance mondiale

Samedi 8 mars 2008

décryptage

Difficile d’atteindre les paradis

Ils sont devenus indispensables à la finance mondiale.

NICOLAS CORI

QUOTIDIEN : jeudi 6 mars 2008

En 1932, la France se passionne pour un scandale retentissant. La police a mis la main sur une liste de parlementaires, de généraux, de magistrats et d’évêques qui fraudent le fisc, en plaçant leur argent à la Banque commerciale de Bâle. La liste, rendue publique par un parlementaire, entraîne le lancement de poursuites et créé une crise diplomatique entre la France et la Suisse. Un épisode qui ressemble furieusement au conflit entre le Liechtenstein et l’Allemagne. Pour autant, les problématiques ne sont plus tout à fait les mêmes depuis 1932.

Quelle place dans l’économie ?

Les paradis fiscaux actuels trouvent leur origine au début du XXe siècle, quand certains professionnels et particuliers découvrent qu’il est moins coûteux d’aller s’enregistrer dans d’autres pays. Depuis la fin des années 1960, avec le début de la mondialisation financière, le phénomène n’a fait que s’accroître, atteignant une ampleur inégalée. Selon la Banque des règlements internationaux, la moitié des flux financiers des banques internationales passent par les paradis fiscaux, qu’ils en soient originaires ou destinataires. Autre statistique, citée par la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), un tiers des investissements directs à l’étranger des multinationales européennes passe par les territoires offshore, qui sont aussi le lieu où les trafiquants de toute sorte ainsi que les fraudeurs au fisc peuvent placer leur argent en sécurité. Les statistiques manquent, mais certains évoquent le chiffre de 1 000 milliards d’euros d’argent sale circulant dans le monde.

Comment les combattre ?

Depuis la fin des années 1990, les pays occidentaux ont mené une grande offensive contre les paradis fiscaux. A l’origine, des motivations différentes : la lutte contre la criminalité, et notamment le terrorisme islamiste, les crises et les scandales financiers faisant apparaître le rôle des paradis fiscaux dans la manipulation des comptes des entreprises, les questions de concurrence fiscale dommageable… Les organismes internationaux (OCDE, Gafi, G7) dressent alors des listes noires, font pression contre certains Etats symboles. En France, la mission conduite par les députés socialistes Vincent Peillon et Arnaud Montebourg déstabilise certains pays européens.

Collaborent-ils ?

Sous la pression, les paradis fiscaux, du moins européens, mettent fin à certaines de leurs pratiques les plus scandaleuses et acceptent une collaboration judiciaire accrue. Mais la stratégie dite de « shame and name » (désigner et dénoncer) montre rapidement ses limites. Les paradis fiscaux durcissent leur législation le temps de sortir des listes noires. Mais n’appliquent que très lâchement les réformes ou mettent en place d’autres mécanismes pour attirer les flux financiers mondiaux. Autre frein, le poids pris par les paradis dans l’économie des entreprises. Les multinationales recherchent de l’optimisation fiscale, devenue une source de revenu comme une autre, mais aussi de la discrétion, quand les législations imposent de plus en plus de transparence. Et elles font pression pour que les centres offshore continuent d’exister.

L’UE peut-elle agir seule ?

Dans cette lutte qui semble perdue d’avance, seule l’Europe continue à se battre. Sa directive de 2005 contre la fiscalité de l’épargne, qui impose une taxation aux pays de l’UE maintenant leur secret bancaire, a été un premier pas. La réflexion, ouverte mardi pour adapter cette directive, va aussi dans le même sens. Mais le Vieux Continent peut-il se permettre de jouer seul ? Sur le terrain des paradis fiscaux, la concurrence joue à plein. Déjà, beaucoup évoquent de nouvelles destinations plus sûres pour cacher son argent : Macao, Singapour, Hongkong. Le problème semble être sans fin…

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