L’affaire de la « lessiveuse » financière Clearstream enterrée

Mercredi 1er décembre 2004 — Dernier ajout dimanche 6 mai 2007

L’affaire de la « lessiveuse » financière Clearstream enterrée

Non-lieu au Luxembourg pour la firme accusée de blanchiment.

Par Renaud LECADRE

mercredi 01 décembre 2004 (Liberation - 06 :00)

La justice luxembourgeoise a enterré hier l’affaire Clearstream, le dossier le plus potentiellement explosif au sein de la finance internationale. Clearstream est une chambre de compensation (« clearing »), où s’échangent les titres financiers (actions, obligations, devises…). Du temps des titres en papier, c’était le lieu physique où ils étaient entreposés et aiguillés en temps réel, afin d’éviter de lourds transports entre clients. Depuis la dématérialisation des titres, les sociétés de clearing font office de notaires électroniques chargés de maintenir un peu de traçabilité dans le monde virtuel de la finance.

Dans deux livres à sensation, Révélation$ et la Boîte noire, l’écrivain Denis Robert (ancien journaliste de Libération) avait raconté comment Clearstream a contribué à opacifier les transactions financières : en s’abstenant de rendre publics des comptes ouverts par des établissements financiers ­ domiciliés en particulier sous les cocotiers mais aussi en France ­ et en instituant un double cheminement informatique permettant d’effacer certaines transactions suspectes. Bref, cet outil destiné originellement à fluidifier les transactions financières se serait mué en une machine infernale toujours plus opaque.

Dès parution des livres, en février 2001, le parquet de Luxembourg avait ouvert une information judiciaire pour blanchiment. André Lussi, administrateur délégué de Clearstream (dont le capital est possédé par les principales banques de la planète), était démis de ses fonctions, victime expiatoire moyennant toutefois de confortables indemnités. Hier, la chambre du conseil d’arrondissement de Luxembourg (sorte de chambre de l’instruction) a sifflé la fin de la récréation, sur avis conforme du juge d’instruction et du parquet : « Il n’y a pas lieu à poursuivre. » Lussi reste poursuivi pour des broutilles (l’utilisation personnelle d’une carte bancaire), mais Clearstream est blanchi de toute accusation de blanchiment.

« Il s’agit pour nous d’un point final à cette saga où nous n’avons jamais cessé de plaider notre bonne foi », indiquait hier un communiqué de la firme. « Ce non-lieu en petite pompe prêterait à sourire s’il n’était pas désolant pour l’état de la démocratie en Europe », ont rétorqué, toujours par communiqué, Denis Robert et son éditeur (Les Arènes).

La justice grand-ducale étant soupçonnée, à tort ou à raison, de protéger la finance luxembourgeoise, principale activité locale, qu’en pense la justice française ? Elle s’est penchée sur l’affaire sous le seul angle de la diffamation. Clearstream a été débouté sur l’un des deux livres (avec en plus l’obligation de payer 5 000 euros de frais de justice), puis a obtenu 1 euro de dommages et intérêts (alors qu’elle en réclamait 200 000) pour l’autre. Match nul 1-1, avec toutefois avantage moral pour Denis Robert.

A la barre, Régis Hempel, ancien vice-président de Clearstream chargé de l’informatique, avait qualifié son employeur de « plus grande lessiveuse du monde ». Dominique Hoenn, administrateur de Clearstream et directeur général de BNP-Paribas, répliquant sobrement : « Dans l’annuaire du téléphone, il y a des gens parfaitement honorables qui demandent à être sur liste rouge. »

© libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

Visitez le site du journal Libération.

Revenir en haut