France : le secret-défense scelle l’affaire des frégates de Taiwan

Jeudi 2 octobre 2008

France : le secret-défense scelle l’affaire des frégates de Taiwan

JUSTICE. Un juge français a rendu une ordonnance de non-lieu dans l’enquête sur la vente de frégates françaises à Taïwan en 1991, qui aurait donné lieu à de vastes rétrocommissions. Cette décision entérine l’impossibilité de faire la lumière sur cette affaire d’Etat bloquée par le secret défense.

Jeudi 2 octobre 2008 09:10

ATS

Sept ans après le début de l’enquête, le juge Renaud van Ruymbeke a rendu une ordonnance de non-lieu général, a annoncé mercredi soir une source judiciaire à Paris.

La justice cherchait à identifier les bénéficiaires en France de rétrocommissions qui auraient été versées après la vente en 1991 de six frégates à la marine taïwanaise par Thomson-CSF (aujourd’hui Thales) pour un montant de 2,8 milliards de dollars.

Mais leurs investigations se sont systématiquement heurtées au secret défense que leur ont opposé des gouvernements de gauche et de droite. A terme, ce non-lieu général, conforme aux réquisitions du parquet de Paris, pourrait avoir de lourdes conséquences financières pour la France.

Argent bloqué en Suisse

Taïwan réclame plus d’un milliard de dollars (520 millions, plus les intérêts) aux signataires du contrat « Bravo » (nom de code du dossier) qui interdisait le versement de commissions à des intermédiaires sous peine de remboursement.

Les juges français enquêtaient depuis juin 2001 dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « abus de biens sociaux et recel » après la découverte et le blocage par la justice suisse de 520 millions de dollars sur des comptes de l’homme d’affaires Andrew Wang, intermédiaire dans la transaction des frégates.

Taïpei a demandé la restitution de l’argent bloqué mais Wang s’y oppose et la justice helvétique n’a pas encore tranché. En juin 2006, la Suisse a restitué une partie de ces fonds - 34 millions de dollars - à Taïwan. Les titulaires de ces sommes, deux citoyens de l’île poursuivis par la justice taïwanaise ne se sont pas opposés à une telle restitution.

Circuits financiers

Les investigations et commissions rogatoires internationales des juges français ne leur ont pas permis d’identifier les circuits financiers empruntés par ces rétrocommissions supposées, dont auraient pu bénéficier des cadres de Thompson-CSF, des responsables politiques ou des partis français.

Les magistrats espéraient en dernier recours pouvoir remonter cette piste en consultant des documents des douanes qui contiendraient la liste des bénéficiaires de commissions versées à des Chinois et des Taïwanais. Mais les ministres des finances ont successivement invoqué le secret défense pour refuser de communiquer ces documents. Dans ce volet principal de ce dossier, un cadre de Thomson-CSF avait été mis en examen, soupçonné d’avoir perçu 150 000 dollars de Wang.

Un volet annexe, également clos par un non-lieu, visait une plainte de Thomson-CSF s’estimant victime d’une escroquerie après un jugement arbitral la condamnant à rémunérer la société Frontier AG, chargée d’influencer les autorités chinoises pour qu’elles ne s’opposent pas à la vente des frégates.

Coquille

Mais derrière cette coquille, officiellement détenue par l’homme d’affaire chinois Edmond Kwan, l’enquête a montré que le Français Alfred Sirven (aujourd’hui décédé) était à la manœuvre.

Bras droit du patron du groupe pétrolier Elf de l’époque, Loïc Le Floch-Prigent, il aurait tenté d’infléchir la position du ministre français des affaires étrangères Roland Dumas, hostile au contrat, par le biais de sa maîtresse Christine Deviers-Joncour.

A Taïwan, treize officiers et quinze marchands d’armes ont été condamnés pour « corruption et divulgation de secret militaire ».

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