Championne du « moralisme » financier, la France ménage la Suisse

Samedi 29 novembre 2008

Dépêches 28 nov. 16h20

Championne du « moralisme » financier, la France ménage la Suisse

par Sophie Louet

LUCENS, Suisse (Reuters) - En pointe dans la croisade occidentale contre les paradis fiscaux, la France, à la différence de l’Allemagne, prend soin d’éviter l’affrontement avec la Suisse alors que l’Union européenne tente de renégocier son dispositif sur la fiscalité de l’épargne.

Boudé par Nicolas Sarkozy pour « des difficultés d’agenda », le président de la Confédération helvétique, Pascal Couchepin, a reçu vendredi François Fillon au château médiéval de Lucens, dans le canton de Vaud, pour évoquer les dossiers économiques de la présidence de l’UE.

L’édifice fut dans les années 60 la résidence du fils du créateur de Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle, mais c’est sans chausse-trapes ni formules cryptiques que le Premier ministre français a abordé la question sensible de la fiscalité.

"La Suisse n’est pas un paradis fiscal« , a-t-il souligné lors d’une conférence de presse avec Pascal Couchepin. »Il ne faut pas mélanger les choses : il y a les paradis fiscaux, il y a le secret bancaire. (…) Un paradis fiscal, c’est un pays où il n’y a pas d’impôts, pas d’économie réelle, pas d’accord d’échange d’informations fiscales, c’est donc le contraire de la Suisse", a-t-il dit.

Cette mise eu point toute en bémols tranchait avec la diatribe que François Fillon avait signée à la mi-octobre, au cœur de la crise financière internationale.

« Des trous noirs comme les centres offshore ne doivent plus exister, et leur disparition doit préluder à une refondation du système financier international », avait-il dit à l’Assemblée.

Selon l’estimation de l’ONG Transparency International, les paradis fiscaux abriteraient 400 banques, deux-tiers des 2.000 fonds spéculatifs et deux millions de sociétés écrans - soit 10.000 milliards de dollars (7.540 milliards d’euros) d’actifs.

En octobre, le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, avait jugé que l’heure était venue d’inscrire la Suisse sur la « liste noire » des paradis fiscaux de l’OCDE. Il avait alors promis le « fouet » à Berne.

Les critères de l’OCDE - pas ou peu de fiscalité directe, pas d’accès à l’information, pas de transparence et pas d’activité réelle - évitent « l’infamie » à des pays comme la Suisse, l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique.

« UNE BÉNÉDICTION »

La Commission européenne a proposé le 13 novembre de renforcer sa directive, en vigueur depuis juillet 2005, sur la fiscalité de l’épargne afin de s’attaquer à l’évasion fiscale.

La France évalue à 30 à 40 milliards d’euros le « fléau budgétaire » de la fraude fiscale dans les paradis fiscaux ou les « Etats à secret bancaire excessif ».

Le dispositif européen prévoit un échange d’informations entre Etats sur les revenus de l’épargne des non-résidents. Les pays de l’UE pratiquant le secret bancaire (Belgique, Luxembourg, Autriche), ainsi que les paradis fiscaux européens hors UE, ont obtenu de ne pas y participer et se contentent de taxer à la source les intérêts de l’épargne.

La directive ne s’applique qu’aux placements par personnes physiques, non par personnes morales, comme par exemple les fondations, qui permettent de contourner la législation.

« Il faut qu’on bouche les trous, que le texte s’applique aux personnes morales et qu’il soit étendu à tous les territoires européens », explique un diplomate français.

« Ce n’est pas à nous à donner à l’Union européenne des conseils », mais « quand on aura comblé ces trous, on pourra en discuter », a déclaré Pascal Couchepin, renvoyant la balle dans le camp de Bruxelles.

« Le système de la coexistence, même s’il ne fait pas le bonheur de tous, est plus efficace pour les fiscs nationaux que les systèmes d’échanges d’informations », a-t-il assuré.

François Fillon a plaidé prudemment pour une application « raisonnable » du secret bancaire afin de ne pas faire obstacle à « la coopération et à l’entraide judiciaires contre l’évasion et la fraude fiscales. »

« La crise financière qu’on vient de connaître montre combien c’est urgent de mettre en place cette transparence ».

Un haut responsable de la banque UBS est poursuivi aux Etats-Unis pour avoir aidé des contribuables à soustraire quelque 20 milliards de dollars d’actifs au fisc américain.

« Dans une ambiance bilatérale crispée par les déclarations va-t-en guerre de Paris sur ’le secret bancaire, relique du passé’, le fin négociateur et homme de consensus qui loge à Matignon depuis mai 2007, est une bénédiction », juge le quotidien suisse 24 Heures.

© REUTERS

Publié avec l’aimable autorisation de l’Agence Reuters.

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