« L’UE doit rester solidaire et montrer l’exemple »

Lundi 30 mars 2009 — Dernier ajout dimanche 29 mars 2009

Article paru le 28 mars 2009

l’Humanité des débats. Paradis fiscaux : que faudrait-il faire ?

« L’UE doit rester solidaire et montrer l’exemple »

Par Christian de Boissieu, professeur d’économie à l’université Paris-I, président du Conseil d’analyse économique auprès du premier ministre.

Des mesures pour limiter le secret bancaire sont annoncées par plusieurs pays (Suisse, Belgique, Luxembourg…). Est-ce la fin des paradis fiscaux ?

Christian de Boissieu. Je pense que les mesures avancées vont dans la bonne direction et qu’elles vont enclencher un processus de démantèlement progressif des paradis fiscaux. Il y a encore un mois, le dossier paraissait bloqué. Il a fallu le conflit entre les États-Unis et la Suisse à propos d’informations requises de la part de la banque UBS pour ouvrir la « brèche suisse », mais la crainte des pays de figurer sur la liste « noire » de l’OCDE a également joué. À quelques jours de la réunion au sommet du G20, à Londres, le 2 avril, il y a là un signe favorable, avec le soutien des États-Unis et de la Grande-Bretagne. L’Union européenne doit aussi rester solidaire et montrer l’exemple.

En France, en Allemagne, aux États-Unis, les dirigeants annoncent leur volonté de s’attaquer à ces « trous noirs » de la finance mondiale. Comment ?

Christian de Boissieu. La lutte contre les paradis fiscaux passe par plus de transparence, plus et mieux d’échanges d’informations entre les pays (en particulier, ici, leurs administrations fiscales). Cela veut dire concrètement qu’un pays respectant les critères de l’OCDE, donc « coopératif » au sens de l’Organisation, ne pourra plus tirer prétexte du secret bancaire pour refuser l’échange d’informations entre administrations.

Tout aussi concrètement, on demande aux pays et aux places qui étaient jusqu’à présent « déviants » et qui deviennent « coopératifs » au sens de l’OCDE de densifier le réseau de leurs accords bilatéraux afin d’obtenir un maillage plus fin des circuits financiers. Dans cette optique, lutte contre les paradis fiscaux et lutte contre le blanchiment de l’argent sale ou contre le financement du terrorisme se rejoignent forcément.

N’y a-t-il pas une part d’hypocrisie dans ces déclarations lorsque des zones d’ombre qui s’apparentent à des paradis fiscaux sont organisées sur le territoire français, comme à Saint-Barth ou Saint-Martin ?

Christian de Boissieu. La contrepartie logique de ce qui est en train de se passer, c’est que les pays les plus avancés s’engagent autant que les autres, et soient non seulement cohérents mais exemplaires. Cela veut dire, concrètement, pour les pays du G7, « revisiter » un certain nombre de dérogations et de statuts spéciaux et voir ensemble, dans le cadre du G20 (et au-delà), ce qui peut être maintenu et ce qui doit être modifié.

Une lutte réellement efficace contre les paradis fiscaux ne devrait-elle pas viser un des piliers de l’économie libérale, celui de la libre circulation des capitaux à la base de la mondialisation actuelle ?

Christian de Boissieu. La libre circulation des capitaux est le résultat de la suppression du contrôle des changes, par les pays plus avancés et par un grand nombre de pays émergents ou de pays en développement. À travers la pression légitimement exercée par l’OCDE et les décisions probablement confirmées à Londres dans quelques jours, il ne s’agit pas de rétablir le contrôle des changes ici ou là. La mobilité des capitaux doit absolument s’accompagner d’une transparence accrue, d’une supervision plus efficace, de règles du jeu arrêtées en commun mais aussi, à la lumière de la crise actuelle, de moyens plus efficaces pour suivre à la trace les risques qui se déplacent en même temps que les capitaux. La remise en cause des paradis fiscaux, c’est avant tout une question de morale, mais c’est aussi un moyen d’améliorer l’efficacité économique et de relever le défi de la « traçabilité » de l’argent et des risques.

Entretien réalisé par Jacqueline Sellem

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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