Briser les structures de la finance

Lundi 30 mars 2009 — Dernier ajout dimanche 29 mars 2009

Article paru le 28 mars 2009 l’Humanité des débats.

Paradis fiscaux : que faudrait-il faire ?

Briser les structures de la finance

Par Jean-Marie Harribey, économiste à Bordeaux-IV, coprésident d’ATTAC.

Au-delà de la crise des subprimes, par lesquelles « le malheur est arrivé », c’est le modèle d’accumulation mis en place depuis les années 1970-1980 qui a explosé parce qu’il ne pouvait connaître que ce destin. Rompre le parallélisme entre l’évolution de la productivité du travail et celle des salaires, c’était donner la garantie aux actionnaires que leurs dividendes augmenteraient indéfiniment. Marchandiser toutes les activités humaines, privatiser tous les services publics, brader les systèmes de protection sociale aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension, c’était faire le lit d’une spéculation effrénée, dès lors que les capitaux circulant sans entraves pouvaient s’engouffrer dans une multitude de produits financiers échangés pour des montants colossaux sur des marchés financiers aux dimensions extravagantes.

Dans ce processus de financiarisation, les paradis fiscaux et judiciaires ont joué et jouent un rôle majeur. Non seulement des milliers de milliards de dollars y transitent chaque année pour échapper à l’impôt ou pour y retrouver une blancheur qu’ils ont perdue dans de multiples trafics, qu’ils soient légaux, illicites ou carrément mafieux. Mais, de plus, leur responsabilité dans le dérèglement de la finance ayant abouti à la crise financière est écrasante. La totalité des banques et des institutions financières ayant trempé dans la spéculation des subprimes ont pignon sur rue dans les tax havens (paradis fiscaux) et les places offshore. 80 % des hedge funds (fonds spéculatifs) sont localisés dans les paradis fiscaux.

La mise en évidence du caractère profondément néfaste des paradis fiscaux n’obéit pas seulement à des considérations éthiques, encore qu’elles ne soient pas négligeables. Mais la privation de ressources fiscales pour les États et les organismes internationaux de régulation empêche que soient réunies les ressources qui seraient nécessaires pour répondre aux besoins sociaux les plus urgents de l’humanité et pour aider à la résolution de la crise écologique. Assurer l’accès de tous les humains à l’eau potable, à l’éducation, à la culture, préserver le climat, la biodiversité, la qualité de l’air, de l’eau, des sols, ce sont autant d’objectifs qui ne peuvent être atteints que par la protection et la production de biens publics mondiaux dont le caractère inaliénable est essentiel. Et si ces biens doivent être soustraits à l’appétit des multinationales, les institutions publiques doivent disposer de fonds publics pour les financer. Tel est l’enjeu de la mise en place, à l’échelle mondiale, de taxes globales.

Le G20 s’est autoproclamé directoire du monde, alors que de nombreuses voix s’élèvent, dont celle du groupe des 77, pour que les solutions à la crise soient élaborées dans le cadre de l’Organisation des Nations unies. Outre le fait que des divergences sdéjà entre les pays qui réclament des « plans de relance » (États-Unis, Royaume-Uni) et ceux qui prônent davantage de transparence et de régulation (Allemagne, France, Chine), il est à craindre que les structures de la finance mondiale ne soient pérennisées. À cet égard, les réunions préparatoires au sommet de Londres du 2 avril 2009 augurent mal d’une refonte complète du système monétaire et financier international. Les ministres des Finances du G20 réunis les 12 et 13 mars ont laissé planer une grande ambiguïté concernant la liste des « territoires non coopératifs » et les mesures qui seraient exigées. C’est la raison pour laquelle de nombreuses manifestations auront lieu le samedi 28 mars dans toute l’Europe pour dénoncer le caractère illégitime du G20 et la pusillanimité des mesures envisagées.

L’association ATTAC vient de publier un rapport dans lequel elle propose de briser les structures actuelles de la finance mondiale, notamment en plaçant l’ensemble du secteur bancaire et financier sous contrôle public, en interdisant les paradis fiscaux et tous les mécanismes financiers spéculatifs (titrisation, marchés à terme, stock-options…) et en limitant fortement la circulation des capitaux. Alors sera possible l’instauration de taxes globales pour financer l’accès de tous les humains aux biens publics mondiaux.

La crise actuelle est globale, c’est-à-dire systémique : le capitalisme est incapable de répondre aux besoins de l’humanité et d’éviter la catastrophe écologique. La réponse ne peut donc qu’être systémique. La question du dépassement du capitalisme est désormais posée.

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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