Pour Total, la Suisse est un vrai paradis social

Mercredi 22 novembre 2006 — Dernier ajout samedi 3 juin 2017

Pour Total, la Suisse est un vrai paradis social

Le pétrolier y domicilie près de 400 cadres, exempts de cotisations en France.

Par Grégoire BISEAU

QUOTIDIEN : mercredi 22 novembre 2006

« Le progrès et l’innovation sociale inspirent notre politique de ressources humaines. » C’est ainsi que le groupe Total ouvre son chapitre sur la responsabilité sociale dans son rapport annuel 2005. Ça ne mange pas de pain, après tout. Mais cela fait légèrement désordre lorsqu’on apprend ensuite que le groupe pétrolier français a choisi de domicilier dans sa filiale suisse environ 400 cadres travaillant en France, échappant à tout paiement de cotisations sociales et patronales. Cette cuisine, révélée hier par Europe 1 mais pratiquée depuis plus de vingt-cinq ans, commence à agacer sérieusement l’Urssaf, l’organisme chargé de recouvrer les cotisations sociales. « On discute avec eux pour trouver une solution, dit-on à la direction de Total. Mais on ne comprend toujours pas pourquoi il y a un tel raidissement de la part de la Sécurité sociale française pour un système totalement transparent et qui bénéficie d’une convention entre la France et la Suisse. »

Rapidité. D’abord un petit rappel juridique. Tout salarié ­ y compris de nationalité étrangère ­ travaillant sur le sol français de façon permanente doit payer ses cotisations salariales et patronales en France. C’est la loi. D’où la crispation de l’Urssaf. Il y a une vingtaine d’années, cette pratique avait été imaginée par Elf pour recruter en mission de courte durée quelques experts internationaux que le groupe voulait mobiliser rapidement dans n’importe quel pays en cas de pépin. « A l’époque, on n’avait trop rien dit. La direction nous expliquait que la Suisse offrait une flexibilité qui permettait une rapidité d’exécution, raconte Jean Conan, délégué syndical de la CFE-CGC chez Total. Puis le système a dérapé. Le nombre de personnes a beaucoup augmenté, et leur profil et leur mission se sont considérablement diversifiés. » Aujourd’hui, la filiale suisse en question, Total gestion international, emploie près de 900 cadres de 80 nationalités différentes, dont environ 400 travaillent sur le territoire français. La direction de Total jure que ce dispositif concerne uniquement des étrangers. Faux, rétorquent plusieurs syndicats. « Je connais personnellement au moins un cadre dirigeant français du groupe qui est salarié dans cette structure », assure Jean Conan (CFE-CGC). Quant au caractère prétendument transparent de cette coquille juridique, tous les syndicats pouffent de rire : « C’est une boîte noire, on n’a jamais réussi à avoir d’informations précises », dénonce René Jacquot, de la CFDT.

Mesquin. Ce matin, les syndicats de Total comptent bien interpeller Thierry Desmarest, le PDG de Total, à l’occasion du comité de groupe européen. « Avec un tel système, on est en train d’organiser le tarissement des caisses de retraite et de chômage en France », accuse Charles Foulard, délégué central CGT chez Total, qui a évalué entre 20 et 22 millions d’euros par an le manque à gagner pour les caisses. A comparer aux 12 milliards d’euros de bénéfice de Total en 2005, cela fait en effet un peu mesquin. C’est ce qui fait dire à la direction du pétrolier français : « Si ces salariés ont un contrat en Suisse, c’est parce que ce pays est un des rares à avoir signé des conventions de sécurité sociale avec à peu près tous les pays du monde. Ce qui permet une vraie mobilité pour les cadres étrangers. »

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