Les exilés fiscaux se font désirer

Mardi 19 mai 2009

Mardi 19 Mai 2009

Les exilés fiscaux se font désirer

Par Mathieu DESLANDES

Le Journal du Dimanche

Les « clients » ne se pressent pas de pousser les portes de Bercy. Un mois après l’ouverture d’un guichet spécial visant à rapatrier en France les fortunes évaporées dans les paradis fiscaux, le premier bilan, sur lequel doit communiquer Eric Woerth mardi, est loin d’être mirifique. Le nombre de dossiers en cours de constitution atteint seulement la trentaine…

Les cagnottes ont du mal à sortir de leurs cachettes. Voilà bientôt un mois que Bercy a ouvert son guichet spécial pour favoriser un « rapatriement massif » de l’argent placé par des contribuables français dans des paradis fiscaux. Mais les fraudeurs se font prier pour rentrer. Selon nos informations, le nombre de dossiers en cours de constitution atteint péniblement la trentaine. Même si l’un d’entre eux concerne un gros poisson à 50 millions d’euros, on est loin des milliards attendus.

Un retard à l’allumage d’autant plus gênant qu’Eric Woerth, le ministre du Budget, doit présenter un premier bilan mardi prochain. Lundi dernier, son cabinet s’est donc fendu d’une séance de « retape » auprès d’une assemblée de banquiers, de notaires et d’avocats, histoire de les encourager à « faire la publicité du dispositif » à leurs clients. Et de leur rappeler le deal : les repentis devront rembourser les impôts non prescrits (six années d’impôt sur la fortune, trois années d’impôt sur le revenu, plus les intérêts de retard) mais ne seront pas poursuivis en justice. Reste que le coming out est douloureux.

Les trésors cachés des ancêtres

« Des clients nous appellent de cabines téléphoniques avec un nom d’emprunt. Ils nous expliquent que c’est la première fois qu’ils parlent de l’existence de leurs comptes cachés à quelqu’un », raconte Pierre Dedieu, avocat au cabinet Francis Lefebvre. Extrêmement prudents, jaloux de leur anonymat, ceux qui envisagent une sortie du bois envoient des juristes se renseigner à leur place à Bercy. Ceux qui ont hérité de comptes occultes ont peur, en se dévoilant, de mouiller leurs frères et soeurs. Certains craignent de se retrouver pour l’éternité dans le collimateur du fisc. D’autres s’imaginent qu’ils découvriront toujours un moyen de tromper l’ennemi. Malgré le sentiment d’insécurité croissant pour les fraudeurs induit par l’entrée en vigueur progressive des engagements de bonne conduite pris par les paradis fiscaux à l’occasion du dernier G20. A les entendre, cette attitude serait encouragée par leurs propres banquiers, ces gestionnaires de comptes établis sur les rives du lac Léman, pas pressés de voir partir leurs clients…

Qui rentre, alors ? Qu’est-ce qui pousse à sauter le pas ? Il y a d’abord les vicissitudes des destins individuels. Un contribuable fortuné, en pleine procédure de divorce, a décidé de clarifier sa situation : son épouse, au courant de l’existence d’un compte bien garni, s’était lancée dans un chantage à la dénonciation. Il y a la crise : les amateurs de placements à risques ont vu leurs avoirs fondre ; il est temps de puiser dans la réserve. Les autres expliquent qu’ils ont hérité de trésors cachés par leurs ancêtres : de grands industriels qui ont mis leur fortune au secret en 1929, en 1936, en 1939, en 1968 ou en 1981 ; des victimes des nazis qui ont caché leurs biens dans les années 1930 ou encore « des petits commerçants qui avaient l’habitude de passer en Suisse des valises de billets par peur atavique de l’Etat », relève Philippe Durand, avocat chez Landwell.

Eric Woerth peut aussi remercier l’ennui, ce terrible ennui qui finit par gagner certains exilés fiscaux et accélérer leur retour de Suisse ou de Belgique… Cet allié providentiel ne suffit pourtant pas à regarnir abondamment les caisses de l’Etat. Le ministère du Budget envisage donc des assouplissements. Pour l’avocate Manon Sieraczek, l’Etat devrait « renoncer à traiter les repentis comme des fraudeurs et les voir comme des citoyens participant à l’effort de redressement de leur pays en période de crise ». On n’en est pas encore là. Mais Bercy fera ce qu’il faudra. Deux ans après le bouclier fiscal, qui n’avait pas fait revenir grand monde, cette mesure-ci doit impérativement être couronnée de succès.

© Le Journal du Dimanche

Publié avec l’aimable autorisation du Journal du Dimanche

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