Le bateau de la mort, pion de la multinationale Trafigura

Jeudi 5 octobre 2006 — Dernier ajout mercredi 16 mai 2007

Journal l’Humanité

Rubrique International

Article paru dans l’édition du 5 octobre 2006.

Monde

Le bateau de la mort, pion de la multinationale Trafigura

À l’origine de la filière opaque mise en place par la firme immatriculée aux Pays-Bas et basée à Lucerne, en Suisse, l’obsession de la recherche d’économies. Fût-ce au prix de terribles conséquences sanitaires et environnementales.

Correspondance particulière.

L’image est publiée tous les jours par les quotidiens ivoiriens. Un gros pétrolier de couleur bleue qui, depuis son arrivée à Paldiski, en Estonie, le 25 septembre, a été tagué par les militants de Greenpeace.

Avec ce slogan qu’il porte comme un mea culpa : « L’Europe intoxique l’Afrique. »

De nombreux observateurs locaux sont - désormais convaincus d’une chose : pour mieux comprendre l’enchaînement qui a rendu possible le scandale, il faut remonter à l’entreprise qui a affrété le Probo-Koala : une multinationale du nom de Trafigura.

Immatriculée aux Pays-Bas et basée à Lucerne, en Suisse, Trafigura est implantée sous diverses dénominations dans plusieurs pays d’Europe, mais aussi en Asie, en Afrique et dans des paradis fiscaux (Malte et les Antilles néerlandaises entre autres).

Son «  président », un Français du nom de Claude Dauphin, a été arrêté à Abidjan (en compagnie de son responsable Afrique, Jean-Pierre Valentini), alors qu’il retournait en Europe après être venu montrer patte blanche. Et défendre ses intérêts dans le pays, qui sont considérables.

Trafigura a en effet exporté, en tant que trader, environ 20 % d’une production pétrolière ivoirienne en pleine croissance. Mais Claude Dauphin est-il la véritable tête de Trafigura ? Rien n’est moins sûr.

Tout comme son associé Éric de Turckheim, Claude Dauphin est un produit de l’écurie de Marc Rich, ancien pape du négoce international de matières premières, condamné pour fraude fiscale aux États-Unis puis finalement gracié par Bill Clinton.

Marc Rich et ses hommes sont réputés pour être des champions des faux nez et des sociétés écrans.

Saura-t-on un jour toute la vérité sur l’identité des affréteurs du Probo-Koala ? En tout cas, l’association écologiste Greenpeace s’est saisie de l’affaire. Après avoir bloqué « le bateau de la mort » dans le port de Paldiski (à l’aide de l’Artic-Sunrise, un de ses bateaux) et fait pression sur le gouvernement estonien pour qu’il l’empêche de s’enfuir, elle a obtenu l’ouverture d’une enquête en Estonie et a réussi à avoir le soutien du commissaire européen à l’Environnement, Stavros Dimas, qui s’est rendu sur l’Arctic-Sunrise et se serait engagé, selon Greenpeace, à renforcer la - législation sur le transport de substances - dangereuses.

Trafigura tente d’allumer des contre-feux affirmant :« Contrairement à ce qui été publié dans la presse sur la nature des déchets d’eaux de nettoyage du Probo-Koala déchargés récemment en Côte d’Ivoire (…), les tests réalisés à son initiative démontrent une teneur toxique très faible, voire nulle dans les eaux de nettoyage. » Trafigura base toute sa stratégie sur la réfutation de la nature des produits : ils ne seraient pas des déchets toxiques, mais des eaux usées issues du nettoyage des cuves, des « slops », dont l’exportation en dehors de l’espace OCDE ne serait donc pas interdite en termes de droit international.

Le quotidien néerlandais de centre gauche De Volkskrant affirme quant à lui qu’une enquête du parquet d’Amsterdam aurait établi que le Probo-Koala aurait fait fonction de « raffinerie flottante » pour transformer 70 000 tonnes de pétrole brut en essence en mélangeant du naphte et du soufre, en pleine mer, en mai et juin derniers, au moment où les cours de l’essence étaient au plus haut.

En tout cas, la tragédie d’Abidjan met en lumière la nécessité de mieux réguler le secteur délicat des déchets toxiques, dans un contexte de mondialisation où la tentation est grande de « faire des économies » sur le dos de pays du tiers-monde, forcément vulnérables.

Les compagnies insaisissables comme Trafigura permettent aux firmes pétrolières ayant pignon sur rue de pratiquer des opérations grises dans lesquelles elles ne souhaitent pas voir leur image de marque associée.

F.W.

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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