Denis Robert, enquêteur obsédé par « l’affaire des affaires »

Samedi 13 mai 2006 — Dernier ajout vendredi 27 mars 2009

Denis Robert, enquêteur obsédé par « l’affaire des affaires »

Evénement

Clearstream

Le journaliste avait remis à Imad Lahoud le fichier à l’origine du scandale.

Par Karl LASKE

samedi 13 mai 2006

« Depuis que j’ai mis le nez dans les petits papiers de Clearstream, ma vie est devenue un roman », écrivait Denis Robert, en 2002.

Initialement, l’affaire Clearstream est un peu la sienne. Révélation$ s’appuyait sur la découverte de comptes non publiés dans les fichiers de la « banque des banques ». La Boîte noire était la recherche un peu impossible de preuves de blanchiment.

En mars 2003, Imad Lahoud lui ouvre l’horizon. Le futur directeur scientifique d’EADS, l’homme du général Rondot, se présente à Robert comme un broker défait. Sorti de trois mois de prison après la déconfiture de son fonds d’investissement. « Il me dit qu’il veut voir ma liste pour retrouver ses partenaires. En contrepartie, il va m’aider », raconte Robert. « Il faisait semblant d’avoir découvert Clearstream à travers les livres de Denis, se souvient Pascal Lorent, réalisateur présent au rendez-vous. Il nous a proposé de trouver des affaires précises, des dates et des personnes. Il voulait voir les documents. Denis l’a amené à son bureau et les lui a remis. » « Je lui file un cédérom et les premières listes », approuve Robert. « Arme fatale ». Pour Robert, ces listes sont l’« arme fatale ». Il en cherchait. En 2001, un Jonas anonyme lui en avait proposé, par mail : « la base clients complète, avec 33 340 comptes dont 23 241 comptes actifs » moyennant finances « en cash ». « On peut tout dissimuler grâce à Clearstream et au Luxembourg, écrit-il dans la Boîte noire. Les sponsors des terroristes (voir les banques proches d’Al Qaeda), comme les corrupteurs et les trafiquants d’armes (voir l’affaire des frégates) ou les fraudeurs. » Robert butait sur ce « on peut ». Lahoud et ses contacts dans les services spéciaux promettent plus d’infos. « Il m’a dit "Rondot te connaît bien", se rappelle Denis Robert. Imad me dit qu’il a hacké le système et que les services travaillent dessus, qu’il a transmis à Rondot et à Juillet [alors responsable intelligence économique du gouvernement, ndlr] les cédéroms que je lui ai remis, je ne sais pas si c’est vrai. » « Je t’expliquerai… ».

Les services travaillent, c’est vrai. Dès novembre 2003, les listes d’hommes politiques et d’industriels circulent. Lahoud annonce à Robert « la preuve qu’il est rentré dans le système » pour bientôt. « Il m’a fait le même numéro qu’à Rondot », dit le journaliste, ancien de Libération.

En avril 2004, Gergorin rencontre secrètement le juge Van Ruymbeke. Denis Robert, qui connaît le juge, ne le voit qu’après les envois du corbeau. « Renaud m’appelle, il me dit : "Faut qu’on se voie", se souvient Robert. Je vais le voir à Paris, je tombe des nues. Il ne m’a pas montré les lettres ni rien. » Lorsqu’il découvre par la suite les courriers anonymes, Robert songe à Lahoud. Les banques citées sont celles dont il avait parlé. « J’ai dit à Imad : "C’est quoi ce truc ?" Il m’a dit : "Je t’expliquerai…""C’est toi qui a fait la lettre ?", interroge Robert. Il m’a dit : "Non, c’est pas moi." Par la suite, il m’a dit : "C’est Rondot", et après il m’a dit : "C’est Juillet". » Sur le listing, le journaliste est circonspect : « C’est évident que c’est du coupé collé. Ce qui ne veut pas dire que le système n’a pas été hacké. » Il continue d’y croire. « Même si la méthode ­ un corbeau dans la finance ­ est limite, je crois qu’il n’y en avait pas d’autres pour qu’éclate […] la plus grande arnaque financière jamais racontée. Le corbeau nous indique le chemin dans la forêt des comptes », écrit-il dans le Point en juillet 2004. « Si on laisse les juges faire leur travail et si le corbeau reste vivant et actif, les révélations vont pleuvoir », prophétise-t-il. Robert espère filmer un « hacking » de Clearstream en direct.

« Il a mené Denis en bateau », confie le réalisateur Pascal Lorent. En janvier, Robert annonce à Lahoud la parution d’un livre « qui s’appellera le Corbeau ». « Tu en es un des personnages principaux », écrit-il. Sa lettre évoque le départ à la retraite de Rondot, « l’attitude de déni et de fuite » de Lahoud, et l’enjoint de prendre contact avec lui. « Ma patience a des limites et tu sais où me joindre », conclut Denis Robert.

Comme dans un roman.

© Libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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Pour plus de précision visitez le blog de Denis Robert : la domination du monde.

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