Ils ont changé le visage du capitalisme

Mercredi 16 mai 2007

John Sweeney, patron du principal syndicat américain, dénonce la mainmise des fonds d’investissement :

« Ils ont changé le visage du capitalisme »

Par Christian LOSSON

QUOTIDIEN : mercredi 16 mai 2007

John Sweeney est président de l’AFL-CIO, la plus importante confédération syndicale américaine.

L’essor des fonds d’investissement a-t-il pris les syndicats de cours ?

On est face à un challenge sans précédent avec la fulgurante lame de fond de ces « nouveaux investisseurs ». Ils ont carrément changé le visage du capitalisme. Qu’ils soient des private equity (investissement dans les sociétés non cotées) ou hedge funds (fonds spéculatifs), ces fonds de placement sont guidés par une seule logique : des profits de 15 à 20 % sur trois à cinq ans maximum. Cette logique mine les conditions de travail, les retraites, la viabilité même des entreprises. Si, en dix-huit mois, l’industrie manufacturière a perdu 3 millions d’emplois, remplacés par des jobs jetables, mal payés et sans protection sociale, c’est en grande partie à cause d’eux.

Comment résister ?

Rappelons déjà que les travailleurs ont beaucoup donné, beaucoup sacrifié. Ce sont eux qui ont dopé la productivité de 16 % entre 2000 et 2005, alors que, dans le même temps, la hausse de 7 % des salaires n’a même pas compensé l’inflation. En échange, on a vu une minorité de privilégiés engranger les fruits de la globalisation. La part des 1 % des salariés les mieux payés représentait 6,4 % du total des salaires en 1980 ; et 11,6 % en 2004 ! La part des salaires aux Etats-Unis dans le revenu national a baissé comme jamais dans l’histoire de notre pays : elle a chuté de 10 % entre 1970 et 2005, pour atteindre 45,3 %. Dans le même temps, la part des profits des dirigeants a atteint son plus haut niveau. Les 25 plus gros managers des fonds spéculatifs ont ainsi gagné l’an passé plus que les 40 000 profs de New York en trois ans ! Ce découplage-là, comme celui des parachutes dorés ou des salaires des patrons, 411 fois plus élevés que la moyenne des salaires aujourd’hui contre 42 fois en 1980, est obscène.

Quelles mesures préconisez-vous ?

Imposer des règles ! Réveiller les gouvernements du G8 pour qu’ils imposent une réelle gouvernance ! Cela passe par un contrôle de ces fonds qui agissent dans l’opacité. Un seul exemple : pourquoi les plus-values des private equity qui revendent des entreprises ne sont pas taxées comme des revenus normaux ?

La politique de Bush a-t-elle amplifié cette dérive ?

Pour les syndicats et les travailleurs, il a été pire que Nixon, Reagan et Bush père réunis. C’est le président-PDG des Etats-Unis. Sa politique fiscale a honteusement favorisé les plus riches. Ses choix budgétaires ont laminé le système éducatif et de santé. Sa volonté de dérégulation a été d’un cynisme d’une rare magnitude. Résultat, les entreprises ont été encouragées, à chaque fois, à prendre la porte arrière des négociations syndicales.

A l’arrivée, au-delà de l’explosion des inégalités, la classe moyenne est tirée vers le bas, près du niveau de pauvreté…

© Libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

Visitez le site du journal Libération.

Revenir en haut