Erika, Ievoli Sun, Prestige, et après ?

Mardi 10 décembre 2002 — Dernier ajout mercredi 5 septembre 2007

Erika, Ievoli Sun, Prestige, et après ?*

(Ouest-France du 10 décembre 2002)

Le pétrolier « Prestige » résume ce qu’est la mondialisation libérale, dans ce qu’elle a de plus tortueux et de plus cynique.

Son propriétaire est une compagnie libérienne à capitaux grecs. (Marc Shipping Inc). Son armateur immatriculé au Libéria est domicilié en Grèce ; son affréteur est russe mais domicilié dans le paradis fiscal suisse. Son agence de certification est américaine. L’affréteur est un « trader » (négociant international) de réputation douteuse, travaillant pour un conglomérat russe du pétrole appartenant au magnat Michael Friedman, très proche de Vladimir Poutine.

Ce qui est en cause, c’est une organisation planétaire opaque, reposant sur les pratiques douteuses des multinationales et la complicité des Etats et des institutions internationales, les pavillons de complaisance et les paradis fiscaux. La dictature des marchés financiers, la déréglementation générale, l’ultra-libéralisme sont en train de transformer notre planète en jungle de plus en plus polluée.

L’Organisation Maritime Internationale, dont les statuts confèrent la majorité aux flottes de complaisance, bloque systématiquement toute mesure qui vise à réglementer et organiser les transports maritimes sur la planète. En son sein, ce sont les multinationales qui font la loi pour leurs plus grands profits.

La Commission européenne, bien plus libérale en la manière que les Etats-Unis, a prétendu mettre en œuvre, à partir de 1999, un train de mesures minimales, dont une partie seulement est entrée en vigueur, et que les Etats de l’Union, à commencer par la France, semblent s’évertuer à ne pas appliquer. (Renforcement des inspections dans les ports, contrôle annuel des bateaux à risques, surveillance des sociétés de certification et création d’une agence de la sécurité maritime, interdiction progressive des pétroliers à simple coque). La Commission a fait des propositions mais s’est bien gardée de s’occuper des moyens humains et financiers pour les mettre en œuvre.

Contrôler les armateurs et affréteurs

Depuis le naufrage de l’Erika au large de la Bretagne, les mouvements citoyens, dont Attac, ont exigé, sans succès, que la responsabilité des armateurs et affréteurs réels soient engagés en cas de naufrage, et que soit mis en œuvre un véritable contrôle des conditions d’affrètement des navires et de vie et de travail des marins, au niveau national, européen et mondial. De nouveau, il appartient aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités.

Tant que des équipages fournis par des marchands d’hommes seront exploités au mépris des droits humains, sociaux et syndicaux les plus fondamentaux, tant que les grosses ficelles de la complaisance maritime et des paradis fiscaux continueront à masquer les décideurs et profiteurs réels de malversations en tout genre, on pourra ressortir les seaux et les pelles, et les banderoles « plus jamais ça » de la fois d’avant, puis les remiser… pour la prochaine.

On parle de contrôler les navires - il le faut - mais il faudrait contrôler avant tout les armateurs et affréteurs des navires. Et s’il n’y a plus d’armateur visible, comme pour l’Erika, ni même d’affréteur fiable, comme il semble pour le Prestige, n’est-ce pas là l’indication première que le navire est dangereux ? A jouer sans cesse avec la recherche du meilleur profit, nos multinationales ont entraîné dans cette dérive les autres acteurs du transport maritime, créant une situation soi-disant ingouvernable. Mais elle ne l’est que parce que l’on ne veut pas la gouverner. La question est avant tout politique.

En cette veille de troisième anniversaire du naufrage de l’Erika, on peut maintenant mesurer la valeur des déclarations officielles qui l’avaient suivi. Haro sur les pavillons de complaisance et les « bateaux poubelles » ! On nous ressert les mêmes antiennes. Mais les mesures effectives engagées par la Commission européenne, quelles sont-elles ? C’est l’histoire complexe de ce qu’on a appelé le « paquet 1 » de mesures, laborieusement mises en vigueur, puis le « paquet 2 » qui reste encore en rade. Le seul résultat concret majeur est pour l’instant un programme de bannissement progressif par l’Europe des pétroliers à simple coque, et un renforcement bien timoré des moyens de contrôle des navires. On vient d’en voir le résultat !

Et après ? Les navires à double coque ne sont plus sûrs que les autres que s’ils sont rigoureusement entretenus. A défaut, ils peuvent être plus dangereux encore. Les causes majeures d’accident résident dans les conditions de maintenance et d’exploitation. Et le premier facteur à prendre en compte est le facteur humain. Il nous appartient de défendre nos biens communs contre la cupidité des multinationales.

(*) François Lille et membre du Conseil scientifique d’Attac France, et auteur de « Pourquoi l’Erika a coulé » (Editions l’Esprit frappeur).

Serge Le Quéau, membre du Conseil d’Administration d’Attac France.

Publié avec l’aimable autorisation du journal Ouest France.

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