Un prix de l’Unesco attise le cas des biens mal acquis

Mercredi 18 juillet 2012

Un prix de l’Unesco attise le cas des biens mal acquis

Créé le 17-07-2012 à 15h01 - Mis à jour à 19h02

par Thierry Lévêque

PARIS (Reuters) - Le président de la Guinée équatoriale Teodoro Obiang, à la tête d’un régime très contesté, a été à l’honneur à l’Unesco mardi à Paris avec la remise d’un prix qu’il finance, alors qu’un mandat d’arrêt français vient d’être lancé contre son fils Teodorin.

La polémique entourant cette récompense, vue comme une manœuvre du régime équato-guinéen, enfle sur fond d’enquête judiciaire sans précédent sur les « biens mal acquis » conduite par deux juges depuis 2010 et qui vise les fortunes détenues en France par Obiang fils et des chefs d’Etats africains.

La France et tous les pays européens ont boycotté la cérémonie officielle de remise de chèques à trois chercheurs de ce prix « Unesco-Guinée Equatoriale », pour lesquels l’association anti-corruption Transparency sollicite officiellement des poursuites judiciaires auprès du parquet de Paris.

La Bulgare Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, organisation onusienne chargée de l’éducation, de la science et de la culture, s’est fait représenter par un adjoint. Etaient en revanche présents un vice-président de la Guinée équatoriale, des ministres de régimes autoritaires africains et des personnalités françaises comme l’ex-ministre PS Roland Dumas.

Les trois millions de dollars de dotation globale de ce prix offerts par Teodoro Obiang et censés avoir été prélevés sur sa fortune personnelle semblent venir en fait d’un détournement de fonds publics guinéens, déclare Me William Bourdon, avocat de Transparency.

Les chercheurs lauréats distingués mardi, l’Egyptien Maged Al-Sherbiny, le Sud-Africain Felix Dapare Dakora et la Mexicaine Rossana Arroyo, percevront 100.000 dollars chacun.

« Nous avons communiqué aux juges d’instruction et au parquet de Paris des éléments qui rendent très probable le fait que ce prix soi-disant privé ait été financé une fois de plus par des ressources publiques », a dit Me Bourdon à la presse lundi.

L’association affirme avoir identifié des flux financiers suspects. « Nous regrettons que le parquet de Paris n’ait pas répondu positivement à notre demande d’élargir la saisine des juges d’instruction, (…) mais il n’est jamais trop tard pour bien faire », a ajouté l’avocat.

BOYCOTT EUROPÉEN

Même s’il a été refusé de lui donner le nom d’Obiang, la création de ce prix a été acceptée en mars par le conseil exécutif de l’organisation. Trente-trois pays avaient voté pour - dont beaucoup de pays africains, la Syrie, la Russie et la Chine - et 18 contre, dont la France et les Etats-Unis.

Dès l’origine, les associations de défense des droits de l’homme ont estimé que l’Unesco se prêtait à une manœuvre visant à gommer l’image corrompue et répressive du régime de Guinée Equatoriale, un des pays les plus pauvres au monde.

C’est un prix qui va « à l’encontre des valeurs qui fondent l’Unesco », dit Me Bourdon pour Transparency.

Le malaise s’est aggravé depuis que la Guinée Equatoriale a proposé fin 2011 Teodorin Obiang, fils du président et ministre de l’Agriculture - visé par les juges non seulement en France mais aussi aux Etats-Unis - au poste de représentant diplomatique de son pays à l’Unesco.

Il était alors en danger puisque les Etats-Unis avaient saisi des dizaines de millions de dollars de biens lui appartenant, et les juges français une série de voitures de luxe conservées à Paris. Transparency soupçonnait donc le régime de vouloir lui obtenir un passeport diplomatique et l’immunité qui l’accompagne.

L’Unesco n’a pas donné suite à ce jour à la demande et Teodorin Obiang est finalement devenu vice-président de son pays en mai, assurant que cela lui donnait aussi une immunité.

Entre-temps, en février, lors d’une perquisition de deux semaines dans un luxueux immeuble utilisé par Teodorin Obiang, avenue Foch à Paris, les magistrats français ont saisi des œuvres d’art, du mobilier ancien, des vins fins et autres objets précieux d’une valeur globale estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Convoqué mercredi dernier pour être mis en examen, Teodorin Obiang ne s’est pas présenté et les juges ont donc délivré contre lui un mandat d’arrêt pour « blanchiment » qui sera diffusé internationalement.

Edité par Patrick Vignal et Yves Clarisse

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