Paris-Brazzaville, une fidélité toxique

Dimanche 20 mai 2007

Paris-Brazzaville, une fidélité toxique

Livre.

Un journaliste dénonce les facettes les moins reluisantes d’une relation si privilégiée.

Par Thomas HOFNUNG

QUOTIDIEN : Lundi 23 octobre 2006 - 06:00

Afrique, pillage à huis clos de Xavier Harel, Fayard, 280 pp., 19 €.

S’il n’en reste qu’un, Denis Sassou-Nguesso pourrait bien être celui-là. Dans un pré carré francophone en voie de délitement, le président du Congo-Brazzaville, au pouvoir depuis 1997, occupe la place du « monsieur Loyal » de la Françafrique, l’homme sur lequel Paris sait pouvoir compter en toutes circonstances. Seul Omar Bongo, l’inoxydable président du Gabon et par ailleurs gendre de Sassou, est en mesure de lui disputer ce titre.

On a les amis qu’on mérite. Même s’il s’intéresse aussi aux turpitudes britanniques ou américaines sur le continent noir, Xavier Harel consacre l’essentiel de son propos aux facettes les moins reluisantes de cette relation si particulière entre Paris et Brazzaville. Il résume : « Non seulement le pays est mis à sac par un clan familial sans scrupule, mais ce dernier le fait avec la bénédiction de Paris. »

Journaliste au quotidien la Tribune, l’auteur décrit avec minutie les mécanismes complexes mis en place par le régime de Sassou, avec l’aide de traders occidentaux, pour détourner l’argent du pétrole au profit de son clan. Et rapporte au passage cette anecdote : lors d’un séjour à New York, en septembre 2005, le président congolais a dépensé plus de 80 000 dollars en huit jours pour payer sa suite dans un palace. L’objet de son voyage ? « Un discours de dix minutes à la tribune des Nations unies, dans lequel Denis Sassou-Nguesso a appelé les pays riches à faire preuve de solidarité et à tenir leurs promesses d’augmentation de l’aide au développement. » Au même moment, Paris insistait auprès de la Banque mondiale et du FMI pour octroyer à Brazzaville un allégement de sa dette.

Comme tant d’autres pays africains gorgés d’or noir, le Congo végète en queue du classement des Nations unies sur le développement. Il dispose d’une seule route en bon état : celle qui relie la capitale au village natal de Sassou, à 400 km plus au nord. Mais, comme se plaît à le souligner le chef de l’Etat congolais lui-même, les corrupteurs sont aussi au Nord. C’est là l’une des forces du livre : son auteur montre que la dilapidation des richesses congolaises et la captation des revenus pétroliers au profit de quelques-uns à « Brazza » se fait grâce à l’aide obligeante des Occidentaux. De Total à BNP-Paribas, en passant par Patrick Maugein, un ami proche du président Chirac, Xavier Harel montre que les Français occupent une place de choix sur le théâtre d’ombres congolais.

Pourquoi diable Jacques Chirac est-il prêt à tout pour être agréable à son ami Sassou ?

L’auteur a une hypothèse : « La corne d’abondance de la Françafrique, qui irrigue les finances du parti gaulliste depuis des décennies, a un prix : la fidélité. » Il faut une bonne dose de courage pour oser écrire noir sur blanc que ce que beaucoup d’initiés susurrent à Paris.

S’il n’est pas sûr qu’en cette période préélectorale dans l’Hexagone ce livre provoque les remous qu’il devrait logiquement susciter, nul doute qu’il sera lu attentivement en Afrique francophone. Là-bas, ils sont nombreux à considérer, comme Harel, que « Jacques Chirac n’est pas l’avocat des Africains, il est l’avocat des régimes africains, des meilleurs et surtout des pires ».

© Libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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