La lutte contre le secret bancaire peine à passer à la vitesse supérieure

Lundi 8 avril 2013

Économie

La lutte contre le secret bancaire peine à passer à la vitesse supérieure

8 avril 2013 à 19:03

Par AFP

La lutte contre le secret bancaire au niveau mondial atteint aujourd’hui ses limites, comme le montre l’affaire Cahuzac en France, mais les efforts vers un combat plus systématique butent notamment sur une Union européenne encore frileuse.

« Le secret bancaire est intact », déplore Gabriel Zucman, spécialiste des paradis fiscaux à l’Ecole d’économie de Paris. « On a réalisé de vrais progrès, la lutte contre l’évasion fiscale a changé de nature en 2009 », proteste au contraire le responsable de ces questions à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Pascal Saint-Amans, tout en reconnaissant certaines « limites ».

En avril 2009, alors que l’opacité financière est accusée d’avoir favorisé la crise mondiale, le G20 des principaux pays riches et émergents érige en priorité la fin des paradis fiscaux. Sous la pression, la plupart des territoires « non coopératifs » signent des accords d’échange de renseignements et sont donc blanchis par l’OCDE, fer de lance institutionnel de ce combat.

Seulement, ces traités bilatéraux ne règlent pas tous les problèmes.

Ainsi, la demande administrative faite par la France à la Suisse en janvier, au nom d’une de ces conventions fiscales, n’a pas permis de détecter le compte caché de Jérôme Cahuzac.

Pourquoi ? Notamment parce que Paris a demandé, sur la foi d’informations de presse, si celui qui était encore ministre du Budget avait eu un compte chez UBS, alors que les fonds avaient été transférés dans une autre banque.

« Cela démontre que l’échange de renseignements, ça ne marche aujourd’hui que pour valider des informations qu’on a déjà », explique Mathilde Dupré, membre du Tax Justice Network qui réunit des associations en pointe contre l’évasion fiscale.

Pour Gabriel Zucman, « c’est un camouflet terrible pour l’OCDE et le G20 ». « Le risque de se faire prendre quand on a un compte non déclaré dans un paradis fiscal est toujours quasiment nul », insiste l’économiste.

En cause, la norme de l’OCDE, qui préconise pour l’instant l’échange d’informations « à la demande », uniquement en réponse à une requête officielle : il faut avoir des soupçons déjà bien étayés pour poser des questions ciblées.

Les experts assurent pourtant connaître la solution. « Elle est simple », plaide même Gabriel Zucman, « c’est l’échange d’informations automatique ».

A Paris, le gouvernement, empêtré dans l’affaire Cahuzac, tente de rebondir sur ce terrain. Le ministre de l’Economie Pierre Moscovici a proposé dimanche un « échange d’informations automatique » au niveau de l’Union européenne, via un « Fatca européen ».

Le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), c’est la loi adoptée en 2010 par les Etats-Unis, aujourd’hui considérée comme un modèle. « Un tsunami », résume Mathilde Dupré. « Elle permet d’obtenir toutes les informations sur tous les comptes bancaires, tous les placements et tous les revenus à l’étranger de tous les contribuables américains », détaille Pascal Saint-Amans.

Le responsable de l’OCDE, qui souhaite une « solution globale », estime qu’il serait « assez logique que l’UE essaye d’obtenir la même chose que les Etats-Unis », d’autant plus que plusieurs pays adeptes du secret bancaire semblent jouer le jeu : la Suisse a conclu un accord Fatca avec Washington et Luxembourg envisage de le faire.

La Commission européenne pousse depuis plusieurs années une directive sur l’épargne censée imposer l’échange automatique sur certains revenus. Mais l’Autriche bloque toute avancée dans ce domaine où l’unanimité des Vingt-Sept est nécessaire, ainsi que, jusqu’à récemment, Luxembourg.

Après les ouvertures de Luxembourg, Vienne s’est retrouvée lundi sur la sellette. Mais même si elle venait à céder, l’entrée en vigueur de ce texte serait désormais jugée comme une avancée modeste.

« La directive épargne est un gruyère avec plein de trous qui est infiniment moins puissante que Fatca, c’est 10% de Fatca », souligne Pascal Saint-Amans, puisqu’il s’agit d’un échange automatique « très restrictif ».

Pour un expert très au fait de ce dossier, « il ne faudrait pas que le Luxembourg lève ses réserves sur la directive épargne uniquement pour éviter la mise en place d’un Fatca européen, et qu’ensuite Bruxelles présente comme une grande avancée cette directive qui est de facto rendue caduque par le chamboulement venu des Etats-Unis ! »

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