L’Afrique minée par l’évaporation fiscale

Lundi 22 janvier 2007 — Dernier ajout samedi 3 juin 2017

Forum social mondial de nairobi

L’Afrique minée par l’évaporation fiscale

Faible imposition des multinationales et fuite des capitaux siphonnent les revenus du continent.

Par Christian LOSSON

QUOTIDIEN : lundi 22 janvier 2007

Nairobi (Kenya) envoyé spécial

Et si l’Afrique, toujours présentée comme un débiteur croulant sous la dette publique, était, en fait, un créditeur net ? « La fuite de capitaux de l’Afrique subsaharienne représente 30 milliards par an en moyenne, soit, depuis dix ans, 274 milliards de dollars, plus que le montant de la dette. Ce que les chefs d’Etat du G8 saupoudrent d’une main, ses banques internationales, ses paradis fiscaux, les bidouillages fiscaux de ses multinationales le reprennent de l’autre. »

John Christensen sait de quoi il parle. Pendant onze ans, cet économiste britannique a été le principal conseiller fiscal de Jersey, l’un des plus juteux paradis fiscaux britanniques, qui détiennent à eux seuls, selon l’ONG Christian Aid, 800 milliards de dollars.

Lors du Forum social européen de Florence, en 2002, John Christensen a jeté les bases d’un réseau mondial pour la justice sociale : Tax Justice Network (1). Mais quand des ONG font vivre 200 salariés permanents, lui n’a qu’un demi-poste à son côté. Il s’appuie sur des pointures de la fiscalité, originaires d’une douzaine de pays du Nord, qui travaillent gratuitement : experts en exportations, avocats d’affaires, conseillers de multinationales. « On pense toujours taxes dans un contexte de concurrence entre Etats, comme en France, avec l’affaire Montebourg sur la Suisse. On ne fait jamais le lien entre fiscalité et pays en développement. Or c’est la condition sine qua non pour une réelle lutte contre la pauvreté. »

Libéralisation. A Nairobi, Christensen est venu lancer une antenne africaine de son association : « La bataille sera longue avant de faire prendre conscience de l’injustice fiscale », qui voit « les richesses de son continent siphonnées ». Sans parler de la corruption, qui ponctionnerait 148 milliards par an, et de ces contribuables qui fraudent ou surfent sur un taux d’imposition sur le continent de 15 % du PIB, contre plus du double en Europe. Le vent de libéralisme en Afrique n’a rien arrangé. « Les revenus issus des droits de douane représentent 40 % des recettes fiscales des pays, note Alex Cobham, du St Anne’s College, à Oxford. Mais la libéralisation du commerce ampute cette manne. Si l’on abaisse totalement ces droits, il faudra doubler l’aide publique au développement pour compenser le manque à gagner. »

Pour attirer les investisseurs étrangers, les gouvernements, pressés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, instituent des impôts sur les sociétés de plus en plus bas. En Zambie, par exemple, le secteur du cuivre, privatisé en 1996, « taxe les firmes à 22 %, septième plus faible ponction au monde. Et les royalties, de 3 % en 1995, sont tombées à 0,6 %, estime Alex Cobham. Le gouvernement ne touche que 1 % des revenus générés par le cuivre ». Pourtant, quand le secteur est crucial, la fiscalité ne décourage pas les firmes étrangères. Le Botswana récupère ainsi 70 % des profits des diamants.

La liste est longue du bonneteau fiscal auquel se livrent la plupart des grandes firmes, rappellent les experts de Tax Justice Network. Lobbying pour des exemptions, évitement fiscal des multinationales, évasion fiscale pure et simple, blanchiment… « Au Nigeria, le pétrolier Shell a dû verser, l’an dernier, 18 millions de dollars pour bidouillage fiscal », raconte un juriste de Lagos. Une des raisons pour lesquelles, ajoute Nick Shaxson, un expert néerlandais, « en trente ans, le PIB nigérian est resté stable, 1 000 dollars par habitant, quand le taux de pauvreté de la population a doublé, de 35 à 70 % de la population ».

Volonté. Peut-être faudrait-il imposer la transparence aux multinationales sur ce qu’elles paient et ce qu’elles gagnent ? Il faut un minimum de volonté et d’indépendance politique. Ellen Johnson Sirleaf, nouvelle présidente du Liberia, a ainsi demandé à revoir les termes du contrat avec Mittal, qui avait négocié une exemption fiscale totale pendant cinq ans en 2005…

(1) Le réseau est financé par des ONG (Christian Aid, Oxfam) et une fondation (Joseph Rowntree), www.taxjustice.net.

© Libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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