Oui, la Principauté de Monaco est bien un paradis fiscal

Mercredi 8 mai 2013

Oui, la Principauté de Monaco est bien un paradis fiscal

Le Monde.fr | 07.05.2013 à 17h20

Par Vincent Piolet (docteur en géopolitique à l’Institut français de géopolitique, université Paris-8)

Il y a cinquante ans, le 18 mai 1963, une convention entre la République française et la principauté de Monaco était signée et mettait fin à une crise qui avait duré plus d’un an.

Á l’origine de cette dernière était le pouvoir et le contrôle de Télé Monte Carlo ; cependant cette affaire fut surtout un bon prétexte pour revoir les règles fiscales qui exonéraient d’impôt tout résident sur le Rocher au grand dam du fisc français qui voyait là une source de revenu non négligeable lui échapper (15 000 citoyens français à l’époque).

Le général De Gaulle décida de mettre fin à cette situation injuste : les Français résidant à Monaco devront se soumettre aux mêmes impôts que leurs voisins. Le bras de fer dura toute une année avec comme point culminant le rétablissement de postes de douane entre la Principauté et la France.

On attribut d’ailleurs au général De Gaulle la boutade suivante : « pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux panneaux de sens interdit ». Côté monégasque, l’ambiance était moins enthousiaste, le rétablissement des frontières commençait à peser sur l’économie de la Principauté mais surtout le pouvoir français menaçait de dénoncer des accords économiques portant sur des importations vitales (médicaments, eau, gaz)

Le 18 mai 1963, les protagonistes tombèrent d’accord : les résidents français, sauf ceux vivant en Principauté avant 1957, seront assujettis à l’impôt français. De fait, Monaco n’était plus un refuge pour les grandes fortunes françaises mais elle avait réussi à sauver la face : les résidents étrangers non français continueront de bénéficier du régime fiscal de faveur.

« IL N’Y A PAS NOIR, GRIS CLAIR OU GRIS FONCÉ »

Cinquante années plus tard, le député PS Bruno Le Roux remet en cause la liste des paradis fiscaux établie par le Groupe d’action financière (GAFI), organisme international luttant en particulier contre la fraude fiscale, estimant qu’elle n’était « pas complète » (Le Figaro, 16 avril 2012), citant l’Autriche, Andorre, Monaco et la Suisse.

« Pour moi, sur toutes ces affaires, peut-être que le gouvernement décidera de ne pas aller jusque-là, mais il n’y a pas noir, gris clair ou gris foncé. Il y a blanc ou noir » , argue-t-il en faisant référence aux différentes listes « grise » ou « noire » publiées par le GAFI. « Monaco, aujourd’hui, blanc ou noir ? Noir » , proclame le député qui estime qu’il est temps de mettre fin aux pratiques offshores aux portes de la France.

La Principauté, se sentant menacée, a répondu via un communiqué de presse à l’AFP : « Le gouvernement princier s’étonne et regrette vivement certains propos récents mettant injustement en cause la Principauté de Monaco […] Tout compte ouvert par une personne de nationalité française à Monaco fait l’objet d’une information automatique auprès des autorités fiscales françaises. Par ailleurs, il est rappelé que les banques installées à Monaco sont soumises au contrôle de la Banque de France »

Ce qu’oublie sciemment la communication de la Principauté, c’est que le secret bancaire est de mise : contrairement aux banques françaises, les banques monégasques sont dispensées de centraliser toutes les ouvertures de comptes, avec identité des titulaires ou mandataires dans un fichier central, comme le système français FICOBA qui permet aux autorités fiscales et judiciaires d’obtenir à bref délai les caractéristiques de tous les comptes bancaires détenus sous un même nom.

Seule cette centralisation permettrait un échange automatique des données, pas seulement avec la France mais aussi avec l’Italie - dont aucune convention fiscale n’a encore été signée -, puis voir avec tous les pays européens comme le préconise la directive européenne sur l’épargne.

LE CONTRÔLE BANCAIRE LAISSE À DÉSIRER

La qualité du contrôle bancaire laisse aussi à désirer en termes de rigueur et ne suit pas la même procédure que doivent adopter les établissements bancaires français.

Le point d’orgue de cette négligence fut l’affaire Hobbs-Melville au début des années 2000, l’une des plus grandes escroqueries et opérations de blanchiment jamais réalisées. Cette affaire représenta un gigantesque système de détournements d’environ 175 millions de dollars, 350 plaignants et parties civiles, 350 autres victimes ayant préféré s’abstenir de comparaître, 20 pays concernés, l’utilisation d’une cascade de sociétés écrans.

Plus récemment, il y a quelques jours, la presse dénonçait que la filiale monégasque de BNP Paribas n’avait pas exercé suffisamment de contrôles sur des transactions de clients basés en Afrique et sur ses activités de banque privée BNP Paris Wealth Management : plusieurs milliers de chèques en euros émis à Madagascar entre 2008 et 2011 ont été encaissés sans les vérifications d’usage quant à leur origine.

Il est suspecté que ces chèques aient été libellés afin de frauder le contrôle des changes à Madagascar. L’association de défense des victimes de crimes économiques Sherpa a demandé au parquet de Monaco d’ouvrir une information judiciaire pour « blanchiment de capitaux africains. »

Nous sommes tous bien évidemment impatient d’entendre la réponse du parquet de Monaco à une telle demande. De plus, ce qu’oublie également de mentionner les communicants monégasques, c’est le secret professionnel  : afin d’ajouter une sécurité supplémentaire, le secret professionnel peut être invoqué par un administrateur monégasque, qui n’est en fait qu’un homme de paille non responsable pénalement, pour protéger l’identité du propriétaire final d’une société monégasque offshore.

Si Monaco ne souhaite plus porter ce fardeau – être un paradis fiscal – les mesures à adopter sont simples et rapides : mise en place d’une centralisation des données bancaires (donc liaison avec le fichier central français FICOBA dans un premier temps puis avec les autres pays européens), mise en place de procédures de contrôle plus exigeantes, fin du secret professionnel qui permet l’anonymat des propriétaires finaux des sociétés monégasques offshores.

Espérons que le cinquantième anniversaire de la convention entre la République française et la principauté de Monaco soit une opportunité pour mettre en place ces mesures, ou sinon espérons alors que le président François Hollande fasse preuve d’autant de fermeté que son prédécesseur Charles de Gaulle et ressorte « deux panneaux de sens interdit ».

Vincent Piolet (docteur en géopolitique à l’Institut français de géopolitique, université Paris-8) Le Monde daté du 7/5/2013

Intervention de Mr Vincent Piolet : http://www.youtube.com/watch?v=i9L5DsQjCvM

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