« L’esprit de 45 » : la sainte colère de Ken Loach

Dimanche 12 mai 2013

« L’esprit de 45 » : la sainte colère de Ken Loach

Par Pascal Mérigeau 9 mai 2013

Un documentaire retraçant l’histoire sociale de l’Angleterre d’après-guerre.

Ken Loach est en colère. Du coup, sa nouvelle réalisation n’a que peu à voir avec ses films récents, qui plaisaient à tout le monde, et pour commencer à ceux qui naguère professaient leur détestation de son cinéma. La presse britannique de droite s’est emportée contre « l’Esprit de 45 », qualifié de sectaire, rétrograde, marxiste, en voilà une surprise !

De quoi s’agit-il ? D’un documentaire, images d’archives et entretiens filmés aujourd’hui, en noir et blanc et c’est somptueux, plongée vertigineuse dans l’histoire moderne de l’Angleterre. Echos d’avant 1945, à travers les témoignages d’anciens mineurs, de travailleurs sociaux, de médecins, d’infirmières, qui se souviennent que chaque lundi on allait porter au mont-de-piété les vêtements que l’on récupérait le vendredi, jour de paie, que, pour soigner les angines, on enveloppait la gorge des mômes dans des chaussettes trempées de sueur, qu’on se nourrissait exclusivement de pain et de confiture, que, faute de pouvoir s’offrir des lunettes, des vieillards se trimbalaient avec dans la poche un cul de bouteille.

L’enjeu du film est de retracer les bouleversements imposés à la société britannique par les travaillistes, arrivés au pouvoir en 1945. Nationalisations, création de l’équivalent de la Sécurité sociale, réglementation du travail, le soufle de 1945 balaie le paysage, les témoins réunis par le cinéaste décrivent ce qui dans leur vie et dans l’existence de ceux dont ils avaient la charge en quelques mois a changé.

C’est passionnant et magnifique, émouvant et implacable, pourtant on ne peut s’empêcher de se demander où Loach veut en venir. Une vingtaine de minutes avant la fin, le film passe soudain de 1951 à 1979 et à Margaret Thatcher citant François d’Assisare au jour de sa prise de fonction, un saut dans le temps de plus d’un qut de siècle qui sera reproché à Loach. Cascade de privatisations, démantèlement des services publics, ouverture à la concurrence de l’entretien des hôpitaux, l’entreprise de saccage n’aboutit pas uniquement à l’anéantissement, brutal, cynique, systématique de la plupart des acquis de l’après-guerre, elle détruit la solidarité, conduit à la négation du respect de l’autre, transforme le monde du travail en un champ de ruines. Considérant son immeuble détruit par le blitz, une femme avait cette phrase : « Et dire qu’hier j’avais fait mes vitres ! »

Telle que décrite par Loach, la Grande-Bretagne est revenue à ce qu’elle était alors, mais cette fois-ci les bombes allemandes n’y sont pour rien. Les analyses du cinéaste seront probablement jugées contestables, certains raccourcis seront condamnés, peu importe, « l’Esprit de 45 » est un film de combat, le meilleur de Loach depuis dix ans.

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Visionner la bande annonce sur le site du magazine Première.

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