Une loi suisse pionnière qui hérisse la droite

Vendredi 13 septembre 2013

Argent des potentats

12 septembre 2013 09:39 ; Act : 12.09.2013 09:42 Print

Une loi suisse pionnière qui hérisse la droite

Avec son projet de loi pour simplifier le blocage et la restitution des fonds de dictateurs, la Suisse fait œuvre de pionnier.

La future loi vise à accélérer les procédures et à compléter le cadre légal pour bloquer, confisquer et restituer les fonds de potentats déposés dans des banques suisses. La Suisse s’est déjà illustrée avec les millions déposés par le clan Duvalier (1986), Marcos (1986), Salinas (1996), Mobutu (1997) ou Abacha (1998).

Depuis 1986, la Suisse a restitué 1,7 milliard de francs aux pays spoliés. En 2011, elle a été amenée à bloquer successivement des avoirs des dictateurs égyptien, lybien, tunisien et ivoirien, démontrant le caractère limité de sa législation. Berne a à chaque fois dû invoquer le droit d’urgence.

« Maintenant, nous avons enfin une loi sur la table qui règle toutes les étapes du processus », se félicite Rudolf Wyss, expert au Basel Institute on Governance et ancien directeur suppléant à l’Office fédéral de la justice. Grâce à cet instrument, la transparence est garantie pour la première fois en matière de restitution d’argent, a-t-il déclaré à l’ats. Il offre en outre un outil juridique pour les détenteurs d’avoirs suspects.

Banques réticentes

Pour lui, le point central du projet est que la Suisse peut désormais fournir aux Etats des informations bancaires avant même qu’une demande d’entraide judiciaire soit déposée. « Comme auparavant les banques ne pouvaient pas transmettre de noms, les autorités de poursuite des Etats concernés restaient complètement dans le flou, ce qui ralentissait énormément les procédures d’entraide », selon l’expert.

Il ne comprend pas les réticences des banques à l’égard de cette loi. Si les banques rejettent ce texte et en appellent au secret bancaire, elles ne rendent pas service à la renommée de la Suisse ni à sa place financière, estime-t-il. Les milieux concernés avaient jusqu’à jeudi pour rendre leurs observations au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

L’association suisse des banquiers (ASB) n’est en effet prête à admettre une transmission d’informations que sous conditions : dans le cadre d’une demande d’entraide spontanée, seulement si l’Etat récipiendaire n’est pas un Etat en déroute (« failed state ») et si le pays dispose de structures politiques et juridiques dignes d’un Etat de droit.

Double morale

Les partis bourgeois rejettent également le projet. Le PDC craint que des Etats corrompus utilisent à mauvais escient les données bancaires et en profitent pour éliminer un opposant encombrant. Pour le PLR et l’UDC, la loi sur le blanchiment d’argent suffit amplement. Ce texte empêche déjà que des millions de dictateurs atterrissent en Suisse, selon eux.

L’UDC considère la future loi très problématique du point de vue juridique. Des comptes pourront être bloqués sur la base d’un simple soupçon qu’une personnalité a quelque chose à se reprocher. Elle dénonce une double morale : « aussi longtemps qu’un ’dictateur’ est au pouvoir, tout est en ordre ; mais dès qu’il est déchu, il est d’office soupçonné d’avoir acquis sa fortune de manière illicite ».

Potentats en fonction ?

La gauche et les organisations non gouvernementales comme la Déclaration de Berne ou Transparency International demandent pour leur part que la loi s’applique aussi à des dignitaires en fonction. Mais pour Rudolf Wyss, cette demande est irréaliste : elle remet en question le droit d’immunité. En outre, quel procureur survivrait à une telle démarche ? Ce volet ne peut pas être résolu dans une loi, estime-t-il.

Le Basel Institute on Governance, qui conseille des pays à la recherche de leurs fonds spoliés, est aussi d’avis que la loi contient encore des points faibles. Le blocage durant une période de 10 ans maximum est une erreur. Les détenteurs de comptes seront tentés de retarder la procédure par des recours sans fin.

Le concept de personnes exposées politiquement (PEP) mériterait aussi une meilleure définition, estime le juriste, de même que les ONG et la gauche. Il devrait notamment inclure des personnes juridiques comme les entreprises ou les fondations proches du régime. Ces entités cachent souvent beaucoup d’argent acquis frauduleusement.

(ats)

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