RWANDA « Le hutu power bien présent en Belgique ! »

Mardi 22 mai 2007

Journal l’Humanité

Rubrique International

Article paru dans l’édition du 11 août 2001.

RWANDA « Le hutu power bien présent en Belgique ! »

Ancien président de la Ligue belge des droits de l’homme, Me Georges-Henri Beauthier était l’un des nombreux avocats, sur les bancs des parties civiles, intervenant au nom de familles massacrées près du couvent de Sovu, dans le sud du Rwanda. Interview.

À l’occasion du procès d’assises d’Alphonse Higaniro, de Vincent Ntezimana et des sours Gertrude et Kisito, vous avez dit que le hutu power était bien présent en Belgique…

Me Beauthier. Des révisionnistes qui nient le génocide étaient dans la salle, tout comme des partisans du hutu power dont on a pu voir qu’ils sont bien implantés en Belgique. Higaniro et Ntezimana qui comparaissaient libres sont venus à moult reprises saluer leurs troupes rassemblées dans le prétoire, comme des chefs saluent leurs soldats. J’ai eu l’impression de revoir des procès de milices d’extrême droite qui se sont déroulés dans les années quatre-vingt. Ce ne fut pas le procès de l’Église catholique mais de certains membres et de certains courants de l’Église, de certains milieux où se mêlaient des affinités ethniques et religieuses, des jeux de pouvoir et des intérêts économiques. Quelques voiles ont été levés sur les flux financiers entre la Belgique et le Rwanda sous la présidence de Juvénal Habyarimana mais il y a encore beaucoup à faire sur ce terrain et je crois que l’enquête en cours sur le massacre de coopérants belges permettra de découvrir beaucoup de choses. Parce que je sais que des organisations non gouvernementales ont été particulièrement attentives et donc habilitées à affirmer que des représentants de l’Église ont joué un rôle criminel dans les événements et après. La réalité du dossier est aussi qu’un père blanc a été arrêté lors d’un barrage policier avec des recommandations de l’abbé supérieur de toute la communauté bénédictine en vue d’obtenir les rétractations des moniales qui ont porté des accusations graves contre sours Gertrude et Maria Kisito. Dans les documents saisis avec ce père blanc, il y avait même un projet de communiqué de presse triomphant pour annoncer que les deux accusées étaient lavées de tout soupçon. C’est pourquoi je soutiens qu’il y avait une organisation criminelle préalable au génocide et qu’elle a continué à ouvrer ensuite pour étouffer la vérité, avec des pratiques mafieuses.

Avec des relais dans les sphères politiques belges ?

Me Beauthier. Dans les sphères politiques et économiques belges mais aussi françaises. Après le génocide, l’archevêque rwandais s’est réuni avec les organisateurs de l’extermination, ainsi qu’avec des représentants des intérêts belges et français pour planifier la suite des opérations. Je ne dis pas que ceux-ci ont participé au génocide. Je dis qu’il y avait une très grande proximité entre des pouvoirs, ceux par exemple de la cour royale de Belgique et celui du président Habyarimana. Nous savons tous que le roi Baudouin, la reine Fabiola et Habyarimana, adeptes de la communauté charismatique, priaient dans la même chapelle. Le palais royal n’a pas pour autant de responsabilité dans le génocide, mais cela explique la permanence de protections de certains planificateurs du génocide.

Au cours du procès, vous avez beaucoup insisté sur l’enquête concernant le massacre de coopérants belges…

Me Beauthier. Parce que ces coopérants ont été ciblés par les tueurs, parce qu’ils avaient découvert des trafics d’armes, qu’ils savaient que des collèges, financés par la coopération belge, avaient élevé des jeunes du hutu power, comme on élevait les jeunesses hitlériennes. Il fallait empêcher ces témoins gênants de parler à tout prix, au même titre qu’un missionnaire canadien a été assassiné parce qu’il en savait trop sur différents trafics organisés sous le couvert de la coopération belge. C’est, à mon sens, l’étape suivante dans la recherche de la vérité sur le génocide, sur la piste du financement du hutu power qui se faisait aussi à partir de la Belgique.

Entretien réalisé

par Pierre Desfaure

Publié avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité.

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