Les paradis fiscaux dans l’enfer de Terra Nova

Jeudi 9 janvier 2014

Les paradis fiscaux dans l’enfer de Terra Nova

Laurent Léger, article paru dans Charlie Hebdo n°1123 du 24 décembre 2013

Les pressions au sein du think tank proche du PS ont conduit à enterrer une note sur l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. D’autres rapports, qui osaient dévier de la ligne du gouvernement, sont restés dans les tiroirs. Enquête sur ce cercle de réflexion où l’on ne réfléchit plus vraiment…

Difficile de s’affirmer de gauche et de pouvoir s’exprimer librement vis-à-vis du gouvernement… Au sein de Terra Nova, l’influente association qui servit de boîte à idées au PS pendant la campagne présidentielle, des experts en ont fait l’amère expérience. Jusqu’à la mort brutale de son président-fondateur, Olivier Ferrand, en juin 2012, la liberté de publier était garantie. Le fait que la gauche était cantonnée dans l’opposition, du moins jusqu’à l’élection de Hollande à l’Élysée, un mois auparavant, n’y était pas pour rien.

Mais depuis que les administrateurs de Terra Nova fraient avec le pouvoir, rien ne va plus.

[…] Vive le secret bancaire !

Vis-à-vis du pouvoir et des financiers, l’indépendance de Terra Nova commence pourtant à fléchir. Des financiers ? Eh oui : leur poids est désormais considérable au sein de l’association. BNP-Paribas y siège, ainsi que la banque Rothschild par le biais de l’un de ses associés, Guillaume Hannezo (ancien directeur financier de Vivendi, il a d’ailleurs été jugé en appel aux côtés de Jean-Marie Messier). Hannezo est omniprésent depuis juin 2012 et se montre particulièrement interventionniste, sans commune mesure avec les autres administrateurs. Le summum est atteint, comme Charlie peut le révéler, avec le projet de note sur l’évasion fiscale.

L’un des experts a été chargé de pondre un rapport sur le sujet en avril 2013. Guy Flury est un connaisseur, puisqu’il fait profession d’expert-comptable, associé du cabinet PricewaterhouseCoopers (il n’a pas répondu à notre demande d’entretien). Ses propositions n’avaient rien d’explosif mais, selon le premier jet de sa note, se montraient néanmoins plus offensives que celles du gouvernement. Reflétant les positions des ONG Transparency, Sherpa ou Anticor, la note plaidait par exemple pour une « transparence » des « multinationales », pour la « connaissance des propriétaires et bénéficiaires réels des sociétés écrans », un dispositif destiné à mettre un terme au blanchiment d’argent et se devant d’être « au minimum » européen.

Les conséquences ont été inattendues. Omniprésent depuis 2012 au sein de Terra Nova, Hannezo, qui n’a pas, lui, encore répondu à nos questions, a torpillé la note, qui n’a du coup jamais été publiée. Charlie s’est procuré les cinq pages de « relecture » par cet éminent banquier. Ça commence sec : « Note générale bien documentée, mais qui cède un peu à la tentation de tout mettre dans le même sac et d’en appeler à l’indignation vertueuse plutôt qu’aux solutions pratiques. »

Le reste est à l’avenant. La France serait entourée, se moque-t-il, « de paradis fiscaux abominables » — « le Royaume-Uni, la Belgique, l’Autriche, le Luxembourg » et les autres —, plombant d’emblée le niveau du débat, qui doit être au moins européen. Minimisant l’ampleur de la dissimulation d’argent par les cols blancs et les dispositifs de blanchiment qu’ils utilisent, Hannezo insiste sur les « criminels » qui recourent aux mêmes ficelles : « L’échange d’informations entre administrations fiscales sera un plus, mais cela ne va pas changer la donne, et s’il en reste, c’est parce qu’il y a des criminels. » Rappelons-lui le cas Cahuzac…

On passera sur le secret bancaire, qui ne serait pas « condamnable » car « inventé pour protéger la vie des gens » et les protéger « des dictatures de leur pays d’origine ». Ou sur l’idée que ce membre d’un think tank dit de gauche se fait des lanceurs d’alerte : « On ne va pas jeter aux orties le secret bancaire, ni laisser n’importe quel lanceur d’alerte autoproclamé vendre des relevés bancaires, vrais ou faux, à la presse à scandale. » Et encore sur la défense de ces multinationales qui déménagent au Luxembourg, parce qu’elles y sont moins taxées : « C’est normal. » Lire la suite.

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