Le fils de Viktor Ianoukovitch à la tête d’un vaste empire

Samedi 1er mars 2014

Le fils de Viktor Ianoukovitch à la tête d’un vaste empire

Samedi 1er mars 2014 par Stephen Grey

KIEV (Reuters) - A Donetsk, ville de l’est de l’Ukraine, le bâtiment de 20 étages, moderne mais fidèle au style stalinien, abrite un hôtel, un restaurant, une banque et le siège du groupe Mako, un conglomérat dont les activités vont des services bancaires à la construction.

Selon les habitants de Donetsk, fief de Viktor Ianoukovitch, le président destitué samedi dernier après trois mois de contestation, tout appartient au fils aîné de l’ex-chef d’Etat.

Les adversaires de Viktor Ianoukovitch s’intéressent de longue date aux activités professionnelles de ce fils prénommé Oleksander. Dentiste de formation, il est âgé de 40 ans.

Sur le site www.yanukovich.info qu’ils animent conjointement, le Centre d’action anti-corruption et l’organisation PEPWatch affirment que sa fortune s’est accrue de 7.285% en trois ans. Le magazine Forbes-Ukraine l’évaluait l’an dernier à 510 millions de dollars.

Oleksander Ianoukovitch détient une partie du capital d’une grande banque, la Banque ukrainienne de développement, montrent les registres de la banque centrale, et il est l’actionnaire majoritaire de Mako, confirme un porte-parole du groupe.

Les deux sociétés travaillant sur de gros projets dans le gaz, le charbon et la promotion immobilière dans toute l’Ukraine, il paraît évident que les activités d’Oleksander Ianoukovitch seront au centre des enquêtes ouvertes par les autorités judiciaires de plusieurs pays sur la richesse de la famille.

PÈRE ET FILS

Les procureurs devront dire si Ianoukovitch père et fils et d’autres riches hommes politiques proches de la famille dont les avoirs sont visés par la Suisse ont utilisé leurs relations pour détourner des fonds publics au profit de leurs affaires.

« Une enquête pénale pour un important blanchiment d’argent est actuellement menée contre Viktor Ianoukovitch et son fils Oleksander », a déclaré vendredi le parquet de Genève dans un communiqué.

Un mois avant que Ianoukovitch devienne président en 2010, les avoirs bancaires d’Oleksander se montaient à 191 millions de hryvnias (24 millions de dollars de l’époque) se classaient au 157e rang des fortunes du pays, selon les données de la banque centrale. En janvier 2014, ces actifs valaient 6,5 milliards de hryvnias, soit 770 millions de dollars et se classaient 32e.

Le directeur général de la banque est Valentina Arbouzova, la mère d’un ancien Premier ministre par intérim sous la présidence de Viktor Ianoukovitch, Sergueï Arbouzov, qui figure sur la liste des vingt personnalités dont les avoirs sont visés par les autorités suisses.

Tetiana Tchernovil, pressentie pour diriger une nouvelle agence anticorruption en Ukraine, déclare qu’il est « très difficile de séparer le père et le fils. Si le père avait le monopole du pouvoir dans le pays, son fils avait le monopole des affaires. »

Cette journaliste et militante assure que le clan familial a pris des participations dans pratiquement toutes les entreprises du pays, même si ces avoirs ont été enregistrés sous le nom d’associés, des affirmations que Reuters n’a pas été en mesure de vérifier.

SUSPENSION DES EXPORTATIONS

Six jours après sa destitution, Viktor Ianoukovitch est réapparu en public vendredi lors d’une conférence de presse à Rostov-sur-le-Don, en Russie. Il a démenti posséder des comptes bancaires à l’étranger.

Oleksander Ianoukovitch n’a pu être joint pour réagir. Mais en réponse à une question sur le gel des avoirs par la Suisse, le groupe Mako a répondu par communiqué que ses comptes sont transparents et vérifiés par un expert comptable et que le groupe paie toutes ses taxes dans la Confédération.

« Nous voulons souligner que dans l’hypothèse où les comptes de Mako trading seraient effectivement bloqués, cela conduirait à la suspension depuis l’Ukraine des exportations de charbon par l’entreprise », qui dit en vendre à 23 pays.

Dans la résidence ukrainienne d’Oleksander Ianoukovitch, située en banlieue de Donetsk, protégée par un mur de béton de trois mètres de haut, aucun signe de l’homme d’affaires. Un garde à l’entrée refuse de s’exprimer. Des voisins disent ne l’avoir jamais vu.

Un habitant âgé précise : « Quand il arrive, il vient en voiture et la police bloque les rues. Donc on ne l’a jamais vu entrer dans la résidence. »

Selon Tetiana Tchernovil, les activités dans lesquelles la famille Ianoukovitch et ses alliés sont suspectés d’avoir touché secrètement des commissions comprennent des contrats d’importation de gaz russe en Ukraine, des contrats pour des droits de forage pétrolier et gazier en mer Noire et des contrats d’extraction houillère.

LUXUEUSE RÉSIDENCE

La propriété et la gestion des biens de l’Etat, dont la luxueuse résidence de Viktor Ianoukovitch à Mejyhirya, sont également examinés par la justice.

Oleh Makhnitsky, le procureur général par intérim d’Ukraine, a affirmé mercredi à Reuters que les détournements d’argent par les proches du président destitué se chiffraient en milliards de dollars.

Des indices ont été trouvés, selon Makhnitsky, dans les milliers de documents découverts dans les résidences de l’ex-président et de ses amis.

Des journalistes et militants examinent ainsi près de 200 dossiers de 500 pages chacun saisis à Mejyhirya.

Selon Vlad Lavrov, un des journalistes impliqués, les documents proviennent principalement du bureau de gestion du domaine de son propriétaire, la holding Tantalit, elle-même contrôlée par Sergueï Kliouev.

Cet homme d’affaires et député du Parti des Régions, le parti de Ianoukovitch, dont le frère Andreï est l’ancien chef de cabinet du président déchu, est ciblé par la Suisse.

Sergueï Kliouev, dans une interview accordée jeudi à Reuters, a dénoncé une « sale propagande » contre son frère et lui. Dans un communiqué adressé par la suite, il dit ne pas appartenir à la « Famille », comme l’opposition nomme le clan Ianoukovitch, et se déclare prêt à témoigner devant les autorités suisses pour démontrer son innocence.

(Avec Lina Kushch à Donetsk, Pavel Polityuk ; à Kiev, Mike Shields à Vienne et Stella Dawson à New York ; Jean-Philippe Lefief, Danielle Rouquié et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)

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