A la cour de Poutine, les oligarques se taisent

Jeudi 26 octobre 2006 — Dernier ajout dimanche 6 mai 2007

A la cour de Poutine, les oligarques se taisent

Menacés de disparition, les roitelets des affaires sont plus puissants que jamais. Mais tous ont bien compris la leçon de Ioukos : silence.

Challenges.fr | 26.10.2006

Au début de son premier mandat, Vladimir Poutine - reprenant une rhétorique toute bolchevique - souhaitait se débarrasser des oligarques « en tant que classe » . Alors que se profile, à l’horizon 2008, la fin de sa présidence, le bilan est très éloigné des objectifs annoncés. Certes, plusieurs figures marquantes des années Eltsine ont disparu du paysage. Boris Berezovski, qui avait joué un rôle majeur dans la fulgurante ascension de Vladimir Poutine fin 1999, vit en exil - doré - à Londres. Vladimir Goussinski, ex-propriétaire du groupe de presse Most, ne sort plus guère d’Israël. Et les principaux dirigeants du groupe pétrolier Ioukos purgent des peines de prison en Sibérie.

Les anciens et les modernes Mais la plupart des oligarques ont su préserver leurs empires. C’est notamment le cas de Roman Abramovitch, gouverneur de la république de Tchoukotka et président du club de football anglais de Chelsea, qui opère un retour inattendu dans l’acier après avoir vendu sa compagnie pétrolière Sibneft à Gazprom, en 2005. Vladimir Potanine, détenteur de NorNickel (premier producteur mondial de nickel), Mikhaïl Fridman et Piotr Aven (Alfa Bank) ou Anatoli Tchoubaïs - père des privatisations « à la russe », aujourd’hui numéro un de la compagnie nationale d’électricité RAO EES - sont autant d’oligarques « historiques » régulièrement reçus par Vladimir Poutine.

C’est encore avec la bénédiction du Président que les frères ennemis Oleg Deripaska et Viktor Vekselberg s’apprêtent à créer le leader mondial de l’aluminium en fusionnant leurs entreprises dont la montée en puissance date des années Eltsine. Voilà pour les anciens.

A leurs côtés, il faut compter sur la « nouvelle vague » issue des cercles de pouvoir très proches de Poutine et associés à la constitution de « champions nationaux » contrôlés par l’Etat. Alexeï Miller, nommé à la tête de Gazprom en 2001, a connu Vladimir Poutine à la mairie de Saint-Pétersbourg dans les années 1990. Sergueï Bogdantchikov, président du groupe pétrolier public Rosneft, bénéficie du soutien d’Igor Setchine, secrétaire général adjoint de la présidence et intime de Poutine depuis le début des années 1990. Deux autres proches de Vladimir Poutine issus, comme lui, des renseignements extérieurs soviétiques, sont en train de se constituer des empires industriels parapublics, et peuvent prétendre jouer un rôle dans les scénarios de succession qui vont se mettre en place à l’approche des échéances électorales de 2007 (législatives) et 2008 (présidentielle) : Vladimir Iakounine et Sergueï Chemezov. Directeur général de l’agence fédérale d’exportation d’armements Rosoboronexport, ce dernier contrôle VSMPO-Avisma, principal producteur mondial de titane. Egalement présent dans l’automobile (AvtoVaz), il cherche à racheter les principaux chantiers navals de Saint-Pétersbourg, après avoir mis la main sur les hélicoptères Kamov et Mil. Sergueï Tchemezov est un proche d’Alexeï Fedorov, patron de Mig et principal architecte d’OAK, le futur consortium des avionneurs russes. Quant à Vladimir Iakounine, il contrôle depuis 2001 les chemins de fer (26 milliards de dollars de chiffre d’affaires), qu’il entend bientôt privatiser en partie.

Coexistence houleuse Signe des temps, plusieurs hauts fonctionnaires président les conseils de surveillance de grands groupes publics : Vladislav Sourkov - qui se veut le conseiller idéologique du Kremlin a atterri à Transneftprodukt (produits pétroliers), Viktor Ivanov à Aeroflot, Igor Chouvalov à Sovkomflot et Dimitri Medvedev à Gazprom.

La coexistence de ces nouveaux oligarques n’est pas toujours facile avec ceux de la première génération. Dans l’extraction de l’or, le groupe Polyus (contrôlé par Vladimir Potanine) opère dans les mêmes eaux que l’entreprise publique Alrosa, présidée par le ministre des Finances, Alexeï Kudrin. Depuis l’arrestation de Mikhaïl Khodorkovski, en 2003, les oligarques, qu’ils soient de première ou de deuxième génération, s’entendent toutefois sur une règle de conduite : ne pas critiquer la façon dont est gouvernée la Russie, y compris dans le domaine économique où ils pourraient pourtant faire entendre leurs voix.

Les conflits sont réglés en coulisse. Ce qui n’enlève rien à leur violence.

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